Rassemblant pour la première fois 160 auteurs et quelque 1 000 tirages, cette rétrospective, 40 ans de vision photographique du paysage français, a pour ambition de donner à voir conjointement les évolutions de la photographie et celles du territoire des années 1980 à nos jours.
La Mission photographique de la DATAR fut une entreprise innovante de deux hommes, Bernard Latarget , haut-fonctionnaire [1] et de François Hers, photographe. [2]
Prenant la suite d’une expérience américaine de 1975 « New Topographics. Photographs of a Man-altered Landscape » (Visionner courte vidéo - Exposition à Rochester ), et se distinguant du pictorialisme, du photo-journalisme ou de la photo humaniste des années 50 – 60, la Mission, tient à la fois de la commande et de la distribution de bourse. À partir des années 70, elle donne carte blanche à des personnes qui passent d’auteur à artiste et réinventent la notion de document. L’ensemble constitue un portrait radicalement neuf de la France au lendemain des Trente Glorieuses, celle de l’urbanisation croissante, de l’extension des zones commerciales ou de la déprise industrielle, en faisant cependant l’impasse sur les « quartiers ».
Ce nouveau regard s’éloigne du sublime, à la mode des Romantiques, des portraits et gros plans du photo-journalisme, « de l’anecdote de la photographie humaniste. Choix d’une photographie lente, posée, souvent à la chambre. Pas de figures humaines le plus souvent. Style neutre documentaire. » Ainsi l’analysaient remarquablement Marc Gourmelon et Jean-Claude Liehn lors de leur conférence du 26 mai 2015, « Le documentaire dans la photographie contemporaine » à Lumière d’Encre (Céret) (texte pdf largement imagé à télécharger dans le portfolio ou accès Internet )
L’exposition aborde ensuite les années 1990 lorsque le paysage, devenu patrimoine, est un élément central des politiques d’aménagement du territoire (cf. les travaux de l’Observatoire photographique national du paysage). Dans les années 2000, le paysage devient un « style », les photographes transforment la perception antérieure et incluent des aspects humains, sociaux ou économiques. Enfin, depuis le début des années 2010, le paysage est photographié comme un espace non plus simplement à décrire mais à habiter ou encore comme support d’imaginaires personnels. De la documentation on passe notamment à la fiction et à l’introduction de l’individu. Le paysage est inclus dans des sujets où s’expriment les photographes dans leur singularité.
Dans les tendances récentes, les jeunes artistes désertent les questions du sublime, de la foule, de la diversité culturelle ; ils sont très attentifs à la com. ; ils ne reprennent pas la problématique documentaire de leurs aînés et leurs travaux s’affirment comme très originaux et personnels.
Dans sa dernière partie, l’exposition de la BnF accorde ainsi une large place à un groupe de photographes, « France(s) territoire liquide », « résidant dans l’un de ces territoires nationaux appelé la France [qui ]décide d’entreprendre un nouveau projet photographique dont l’ambition est de chercher à savoir comment la photographie pourrait définir les caractéristiques principales de l’identité et du territoire français au début du XXIe. » Contrairement à la Mission publique de la Datar, leur « Mission photographique sur le paysage français », termes qui ne laissent aucun doute sur leur filiation, est autoproduite et indépendante.
Si les clichés traitent de la France, les modes d’approches traduisent visuellement une ouverture au monde et aux questions contemporaines les plus prégnantes. « Ils traitent un large éventail de sujets comme la mondialisation, l’anthropocène, la mémoire, les changements technologiques, la subjectivité, l’idée de nation et la migration. Cependant, si un thème traverse tous les projets, c’est l’idée que toutes les frontières sont temporelles et liquides et changent en fonction de la politique et de la technologie. » (Lire site FTL) Ils ne peuvent pas être dissociés d’autres évolutions de la culture : la littérature avec les autofictions, le cinéma, la globalisation des échanges, etc. Les approches de la photographie des paysages changent de perspectives comme celles de la géographie et de l’histoire, ainsi l’atteste le titre « Histoire mondiale de la France », le dernier livre collectif de référence élaboré sous la direction de Patrick Boucheron. La BnF témoigne d’un basculement profond.
Par leur ambition immense, ces initiatives suscitent bien sûr la critique [3]
Au lieu de proposer au lecteur une vision complète d’une exposition qui se singularise par la diversité et le nombre des artistes (160, rappelons-le), Voir et Dire vous invite à voir trois vidéos correspondant à des approches différentes du paysage par trois photographes d’époques différentes.
Raymond Depardon et son retour sur les fermes familiales (1985)
Émilie Vialet, et son parcours des bords de mer : la Lette (2015)
Frédéric Delangle, Paris-Dehli (2016) fait colorier ses paysages parisiens par des artistes indiens. Dans cette vidéo, il raconte aussi comment les artistes de "France(s) Territoire Liquide", ont construit leur mission, sans commande publique.
Voir aussi les deux remarquables dossiers de la BnF :
- le dossier de ressources
- le classeur de tous les photographes, avec films et productions.
Jean Deuzèmes.
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