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Thibault Lucas. Portes, pierres, passages



Des pierres délaissées de la ville, il fait des monuments fragiles, des portes urbaines improbables. De ses déambulations subsistent de splendides traces poétiques et humbles.

Thibault Lucas puise une partie des racines de son œuvre de plasticien dans le land art urbain. Il attire le regard avec des matériaux délaissés et récupérés auxquels il donne de la dignité par l’assemblage. En faisant des installations aux marges de la ville, il offre un plaisir immédiat à ceux qui y vivent et des photos aux autres…

La Galerie 24b lui a ouvert ses portes brièvement (31 mai-5 juin 2022). Ce fut une trop courte exposition où a été tenté un étrange rapprochement : un grand artiste français des avant-gardes des années 60, Olivier Mosset, aspirant comme Buren à atteindre le degré zéro de la peinture, et, face à lui, un jeune artiste Thibault Lucas, né en 1984 et travaillant à POUSH Manifesto Aubervilliers, une fourmilière pour 160 artistes, où se pratique un autre mode de création, sans prétention pour le « grand soir de l’art ».

Thibault Lucas a choisi les œuvres à exposer, non dans l’esprit d’une rétrospective, mais comme un point d’étape, d’où un éventail de ses talents : des vidéos, des photos, des pierres et autres installations. De peinture, il n’y a point et pourtant l’artiste se dit peintre et ne cesse de dessiner.

Thibault Lucas. Devanture de galerie en forme de triptyque

Le jeune artiste, découvert par V&Den 2018, apparaît ainsi bien engagé dans son devenir. Le land art en milieu urbain est un langage heureux et poétique (installation puis prise de photo), où la grammaire est parfois celle des assemblages de fragments d’objets, de pierre dans les in situ des matériaux eux-mêmes. Non-croyant revendiqué il infuse un sens artistique à ses œuvres en utilisant avec subtilité des symboliques religieuses et les questions humaines qu’elles abordent : triptyques, déclinaison du thème du passage et du cheminement, récupération de la pierre délaissée ou encore invention d’une silhouette de cathédrale devant laquelle une chaise vide est une invitation à la méditation.

Le texte qu’il a écrit sur une rencontre avec un SDF devant une de ses portes de pierre qu’il a réalisée à la Porte de la Villette, à Paris, est un condensé de sa démarche : créer une porte apparemment fragile, et pourtant stable, dans un contexte qui est lui-même une porte géographique (un dessous de périphérique), et laisser l’œuvre vivre sa vie avec ceux qui prendront soin d’elle, ici des marginaux. L’attention esthétique qu’il développe est, chez lui, non dissociable de l’attention à l’autre.

Établir des marquages réguliers en craie sur un pont temporaire à Venise à l’occasion d’une fête votive populaire est autre belle initiative. Avec de simples rectangles dessinés à la craie, il a créé de manière temporaire (donc fragile) le cheminement vers un édifice religieux très connu : l’église du Rédempteur, conçue par Palladio. Un dialogue entre deux époques non signé plein de sensibilité.
Ses vidéos sont, elles, humoristiques, saisissent des opportunités et rappellent immédiatement de grands référents artistiques ou mythologiques : un triptyque religieux, Sisyphe et sa pierre.

À quand une prochaine exposition plus longue, cette fois pour ce poète de l’urbain ?
Jean Deuzèmes

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