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Jacques Mérienne. Crèche



Crèche à Saint-Eustache 2021. La sobriété d’un dessin de BD et la simplicité de la mise en scène par un artiste attaché à ce lieu reformulent immédiatement le sens contemporain de Noël.

Saint-Eustache (Paris 1er) est un « haut lieu » de la production des crèches contemporaines dans les églises. En 2019, les artistes choisis, Enzo Certa et Cassandre Rain, avaient intitulé leur œuvre « Un Come Back Annuel »>>>.
Le crèche de Jacques Mérienne est un Come Back (retour) très particulier. Ancien curé de Saint-Merry, vicaire désormais à Saint-Eustache, il dirige aussi une troupe de théâtre et a été choisi pour créer la crèche 2021. Il a ainsi interrompu temporairement le principe de confier à un ou des élèves des Beaux Arts le soin de mettre en œuvre une installation pour célébrer Noël, avec le soutien financier de Ruby Mécénat.

Il le fait en incarnant son œuvre dans le territoire alentour de l’église qu’il connaît bien : le Forum des Halles traversé par des milliers de passants chaque jour. Il le fait en utilisant son médium favori : le dessin de BD qu’il utilise pour ses storyboards comme réalisateur. Il le fait comme observateur, analyseur et créateur de spectacle de rues [1], puisqu’il s’est introduit par ce biais dans l’art. Il le fait, ici, comme un « auteur d’homélie visuelle ». La rue est son monde de la conception et de la réalisation, il aime s’y trouver et y puiser ses matériaux.

La foule est si importante pour lui, en tant qu’artiste et en tant que prêtre, qu’il a placé Joseph, Marie, l’enfant au centre de sa composition dessinée.

Jacques Mérienne a donné un titre condensé à son œuvre : "Bethléem au Forum". Deux lieux, deux temps rassemblés.

Jacques Mérienne. Crèche 2021, une œuvre à Saint-Eustache from Voir & Dire on Vimeo.

En 2021, on ne vient pas seulement pour voir la crèche, à distance, on peut passer dedans en longeant les 20 dessins de deux mètres de haut suspendus dans » le carré des chanteurs » à l’écart du grand autel : le visiteur n’est pas un simple spectateur, il peut s’il le désire être un membre de la crèche car il est de la dimension des personnages.

Cette crèche est immédiatement lisible. C’est la diversité des passants que Jacques Mérienne a voulu saisir avec leurs comportements, seuls dans la foule, en petits groupes affinitaires d’usagers de l’espace (cyclistes, piétons, musiciens, skaters ou riders, couples, personnes âgées, animaux de compagnie, etc.) avec leurs vêtements. Mais ils ne sont pas dessinés de la même manière, ils ont chacun leur individualité.

Cette œuvre très contemporaine, en BD, est en fait dans la tradition artistique des crèches, populaire bien sûr, mais aussi sociale. « Le dénombrement de Bethléem »de Pieter Brueghel (vers 1525-1569) est bien connu. L’artiste flamand peint précisément et avec humour la réalité sociale du XVe siècle : la paysannerie.

Jacques Mérienne dessine le milieu des urbains dans ce qu’est le Forum, le lieu de côtoiement de toutes les classes.
Brueghel peint un menuisier avec sa scie à l’épaule ; son épouse est juchée sur un âne, tout à-côté d’un bœuf. La couleur bleue du vêtement ne laisse aucun doute sur l’identité du couple. Il s’agit bien de Marie et Joseph seuls dans ce paysage, dans un village.

Chez Jacques Mérienne, Marie et Joseph sont des migrants au cœur de la capitale, ils ont leur valise et semblent bien seuls devant cette foule. Le Forum des Halles avec la Soupe Saint-Eustache est un lieu du centre, il y en a bien d’autres notamment au nord de Paris, où se rassemblent et viennent se nourrir les gens de la rue, les étrangers. Généralement, ils préfèrent le sac à dos individuel à la valise mais ils l’adoptent aussi. Chez Jacques Mérienne, la valise exprime le signe traditionnel du voyageur.

Interviewé dans le magazine de Saint-Eustache, Forum N°59, Jacques Mérienne aborde quelques points avec simplicité :

Cyril Trépier : Pourquoi la foule vous intéresse-t-elle ?
J.M. De multiples choses s’y passent, et la bande dessinée permet de raconter des histoires. Ces personnes, dont je connais plusieurs, renvoient à mes yeux à des scènes bibliques, comme la Samaritaine. C’est au cœur de cette humanité que naît le Christ. Jésus est né lors d’un voyage, et il y avait une foule, car ses parents n’ont pu loger à l’auberge. Chacun lira ensuite ce qu’il voudra dans ces dessins.

C.T. Ces dessins suivent-ils une chronologie ?
J.M. Ils ne portent pas de récit, mais je vois défiler des personnes. Elles n’ont pas de lien entre elles, mais cohabitent. Suivant des dizaines d’échelles de temps, elles s’entrechoquent au même endroit. C’est cette matière que je creuse, et je la trouve très musicale. D’ailleurs, parmi les passants que j’ai dessinés se trouvent des danseurs de hip-hop.

C.T. Certains personnages n’ont pas de visage.
J.M. C’est vrai. Cette absence de visage marque pour moi une absence d’intimité. Car, regarder ces personnes ne suffit pas à les connaître. Il faudrait, en plus de les regarder, s’asseoir avec elles dans un café, et commencer à parler. Mais, toutes ces personnes possèdent une histoire.

La force de cette crèche tient
• Dans le style : peinture noire sur fond blanc, sans couleur sauf l’espace des anges, des jeunes skaters s’élevant dans le ciel et son arc bleu .
• Dans la simplicité de la mise en scène : « le carré des chanteurs », caché du grand autel par des piliers, un espace bien modeste à l’écart du grand axe majestueux de l’église, comme pouvait l’être la crèche par rapport à l’auberge.
• Dans le contraste avec les crèches antérieures : la linéarité de l’accrochage, une sorte de mur de street art sans signature, plutôt une fresque sans besoin de cartel.
• Dans la proximité au sujet : il suffit de se retourner. La grande porte de l’église donnant sur le forum est vitrée, on voit défiler les passants, les cyclistes, les riders ; leurs habits sont souvent colorés, à la différence des dessins de Jacques Mérienne.
• Dans l’affirmation du sens de la crèche aujourd’hui : « C’est au cœur de cette humanité que naît le Christ ».

La question que l’on est en droit de se poser : quand la foule de ceux qui se croisent dans l’œuvre ou dans la réalité à 20 m, au-delà de la porte vitrée, devient-elle communauté ?

Peut-être quand elle s’éloigne de l’œuvre et s’assied dans la grande nef, pour écouter, chanter ou célébrer. Le dessin reste seul, un peu comme les personnages centraux.

Jean Deuzèmes

PS : Un rouleau n’est pas dévidé, c’est peut-être celui des rois mages. Quelle surprise de représentation nous attend ?

Pour le savoir, lire sur >>> V&D : http://www.voir-et-dire.net/?Le-Clown-Une-figure-qui-s-echappe


[1Ces dessins font suite à deux œuvres sur la rue, « La Séptima », un film de 2011 sur la grande avenue du même nom à Bogota, en Colombie, puis un opéra improvisé, « Passionnez-moi », monté avec les artistes de la paroisse Saint-Merry en 2015. Le film comme l’opéra montraient une foule.

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