La fresque avale la lumière, la tente la reflète ; l’une et l’autre révèlent ensemble la monumentalité discrète du site et l’humanité qui se joue à cet endroit très précis.
La tente est faite d’une toile dorée placée sur un piédestal, non pas comme un veau d’or, mais comme une interpellation forte dans la ville.
« Je veux tenter comme un alchimiste de révéler la force de la fragilité et fissurer les certitudes de la stabilité. »
Une œuvre politique, actuelle. Un regard poétique pour évoquer une réalité sociale. Une œuvre à portée générale, mais aussi locale, car derrière le Socle se dresse parfois une tente où dort un SdF. Une œuvre à consonance éthique parlant doucement à la conscience du passant, sur le mode de l’enfant.
« Je veux montrer ce qu’on ne voit pas. Ce qu’on voit à condition de se mettre à genoux et de regarder sous la ville. Se faire tout petit, comme un enfant pour oser regarder les invisibles qui nous ouvrent à un autre monde où l’humilité, le partage et le besoin de l’autre sont les bases. De l’extérieur, ces tentes sont un reflet de nous-mêmes, de notre individualisme, de notre vanité, de notre matérialisme. De l’intérieur ce sont des temples faits d’or et de poussière, d’humanité brute et de perfection infinie, de matière et d’immatériel. Le plus petit est devenu le plus grand. »
Cette tente éclatante est un prétexte à la rencontre, une façon de provoquer des échanges (en latin « pro vocare » : susciter la parole) entre habitants du quartier, habitants de la rue, habitants de passage. « Les Habitants » est en fait une proposition de lien entre des mondes qui se jouxtent sans se toucher. Elle rappelle, avec le vocabulaire de la beauté, une coupure sociale violente que des associations ne cessent de dénoncer tout en construisant les conditions de l’accueil et de la dignité.
Jean Deuzèmes
Biographie
Né en 1984 à Suresnes, Thibault Lucas travaille à Aubervilliers, dans la résidence d’artistes Poush. Pluridisciplinaire (sculpture, in situ, vidéo), il réalise des interventions dans des lieux en retrait au milieu de la ville, de la nature ou dans des centres d’art. Son travail tente de les révéler et de les poétiser par un simple déplacement et/ou agencement des matériaux trouvés/empruntés sur place. Son travail est toujours en mouvement et provoque des rencontres improbables avec des passants, qui viennent nourrir chaque projet. Thibault Lucas crée de façon spontanée en se laissant porter par le lieu et ses contraintes ainsi que par les matériaux et outils qu’il a sous la main. Des portes en pierre sous le périphérique, des cercles sur les toits de Poush, un volcan dans une église, une ville miniature en granit sur la pointe de l’île St Denis, un désert dans le hangar du Wonder, des mauvaises herbes sur les murs du centre d’art de Clichy…