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Le noir dans la peinture



Le noir, comme les autres couleurs, est porteur de sens et de codes sociaux qui ont varié dans le temps et l’espace. Mais son usage dans la peinture est aussi tributaire de l’état des techniques spécifiques à chaque époque, la fabrication des pigments. Nos aïeux ont été sensibles aux différentes catégories de noir ; le noir brillant était valorisé alors que le mat était identifié à l’atrabilaire, au mauvais alors que maintenant le mat est du plus grand chic. !!!!Contrairement à d’autres couleurs qui pouvaient se trouver facilement dans la nature, les artistes ont eu des difficultés à fabriquer cette couleur ; le vrai noir n’est pas un mélange de toutes les autres couleurs et est chimiquement malaisé à obtenir. C’est ainsi que la Réforme et le romantisme ont été propices à l’utilisation du noir, avant que la photographie l’impose durant 100 ans.


Quelques références d’histoire pour comprendre l’Outre Noir de Soulages.

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Si vous avez aimé les vitraux de Conques


Si l’on avait autant de difficultés à obtenir le noir, c’est parce que les résidus de fumée n’étant ni stables ni denses, il ne pouvait s’obtenir que par petites quantités. C’est pourquoi, jusqu’à la fin du Moyen âge, cette couleur était peu présente (sauf sur des enluminures) et notamment en grande surface, l’ivoire brûlé donnant le noir profond était hors de prix. Toutes les églises étaient donc en couleur.

L’histoire du noir en peinture est faite de hauts et de bas, de goûts imposés et de modes, elle participe aussi du débat incessant entre forme et couleur, entre dessin et peinture pour dire la vérité dans l’art. Avec l’apparition de l’imprimerie vers 1450, le noir change de statut car les progrès réalisés dans les encres, qui deviennent grasses et denses, permettent d’entrer plus facilement et durablement dans le papier. La morale collective y contribue aussi, les teinturiers étant sollicités pour faire des couleurs sages. La Réforme combat les tons vifs, et l’austérité devient la norme. Les sombres portraits des réformateurs sont repris dans la peinture aristocratique et bourgeoise. Charles-Quint comme Luther sont peints dans la problématique du noir. Au XVIIIe et début XIXe, les progrès de la chimie, avec les produits de synthèse issus du charbon et du goudron, vont prendre le relais et permettent de démocratiser le noir dans les vêtements tandis que le romantisme impose le code du noir dans les représentations de la mélancolie en peinture. L’autorité se peint en noir. .

Entre ces moments de règne du noir et au tournant du XXe, la couleur s’impose et triomphe par réaction. « Le noir n’est pas une couleur » disait Léonard de Vinci, « Rejetez le noir et ce mélange de noir et blanc qu’on nomme gris. Rien n’est noir, rien n’est gris » écrivait Gauguin. L’époque des Lumières a réellement donné de la lumière aux peintures (le vert), les impressionnistes et les peintres de l’entre-deux-guerres se sont largement appuyés sur les découvertes des scientifiques.

Cependant, le noir « faisait de la résistance » et restait encore présent, d’une part, grâce à la photographie, qui durant un siècle donna une vision en noir et blanc (plus ou moins pur) du monde et, d’autre part, grâce à certains peintres toujours séduits par cette couleur, Manet, Renoir. La première guerre qui fut moins joyeuse que l’on imaginait au départ opéra naturellement un retour vers le noir. Mais c’est avec l’abstraction et notamment les radicaux russes comme Malevitch (le fameux carré noir) que le noir toucha à l’absolu de la peinture. Les constructivistes et les peintres autour de Mondrian, les théoriciens de Stijl, poussèrent plus loin et proposèrent alors des compositions géométriques en noir d’un très grand équilibre. Aurélie Nemours en est une descendante et ses vastes compositions de carré noir sont d’une harmonie qui ouvre à la contemplation.

C’est avec les modernes, dans les années 20-30, que le noir devient une couleur résolument moderne, à côté des couleurs primaires (rouge, jaune, bleu).

Le contexte des années 50 est propice lui aussi au noir avec le dessin (cf. les splendides encres de Henri Michaux sous effets de la mescaline) et bien sûr Soulages, qui n’arrive pas au noir directement.

Il y entre par le brou de noix (pour des raisons d’économie de moyens comme tous les jeunes artistes), par des signes, par des contrastes d’autres couleurs, avec le blanc notamment (mais pas seulement). Le noir de Soulages est indissociable de la matière qu’il utilise, l’huile puis l’acrylique qui lui permet par des épaisseurs plusieurs catégories de noir ; le noir brillant était valorisé pour ses importantes capacités d’accroître ses incisions dans sa peinture, de faire entrer la lumière différemment.

Le noir de Soulages ne doit pas non plus être dissocié des formats qu’il utilise en polyptyques et qui donnent une autre dimension, par la mixité des techniques juxtaposées (stries/fentes/à plats uniformes). On pourrait dire que l’unique matériau de Soulages, le noir d’ivoire, a comme enjeu de révéler les lumières, d’une toute autre manière que les autres artistes, en passant par la vibration et le reflet de la matière. La place du spectateur est essentielle, car il peut aussi interférer et sa vision (son émotion), change s’il se déplace.

L’Outre Noir représente une mutation essentielle.

Soulages

Techniquement, Soulages est un peintre mono pigmentaire et se distingue des peintres du monochrome qui veulent retourner au degré zéro de la peinture, en se concentrant sur l’élément couleur, suffisant selon eux à tout exprimer (cf. Klein et son bleu ou Ryman et son blanc) même s’ils puisent au même principe de l’économie radicale de la peinture. L’enjeu est pour lui la lumière émise par un seul pigment traité dans des conditions toujours différentes.

Les tableaux de Soulages relèvent d’une autre planète que ceux du peintre Ad Reihnardt (1913-1967), les ultimate paintings qui sont des à-plats monochromes, sombres, mats et noirs notamment, influencés par les philosophies orientales, qui explorent le vide, le rien, en éliminant toute anecdote. Une position ultra radicale de la peinture ; l’apaisement au-delà de la mort ? Au contraire, avec d’autres manières et matières, Soulages nous offre bien un plein de lumières et non le vide.

Il a des descendants par la technique, comme Jason Martin (Anglais né en 1970) qui peint sur aluminium des fines stries toujours identiques dans des matières fragiles monochromes vives ou métalliques, captant l’irisation de la lumière.

Mais, à y regarder de près dans les jeunes générations, l’ au-delà de l’Outre Noir n’a pas encore commencé.

À 90 ans, Soulages est toujours bien là, à peindre.

MM, 13/12/09

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