Des mots et des objets, il y en a à profusion, bien classés sur et dans des vitrines. Tout est ordonné, mais dans un ordre guilleret où l’œil et l’esprit vont et viennent, comme une vaste ritournelle où l’on passe de Cerveau, à Bouche et dents, Dos et fesses, Peau, Os, etc.
Les vitrines sont des petits cabinets de curiosité entre lesquels chacun compose son itinéraire, son cadavre exquis pour reprendre l’expression des surréalistes.
« Morceaux exquis » relève cependant d’une autre quête que celle de Giacometti et de ses amis. Il ne s’agit pas seulement d’explorer l’imaginaire mais bien plus les arts populaires. Ceux-ci ont fabriqué, en effet, à la fois des objets et des expressions vivantes ou ancestrales pour faire société, dire des sagesses ou encore soigner lorsque les mots de la science manquaient. Du sérieux, il en a fallu pour recueillir et trier ces matériaux, mais cette exposition est tout sauf ennuyeuse, car la langue du corps associe le bon sens à un humour déversé à profusion. Alors chacun en prend pour son grade mais peut grapiller aussi des bons mots à se remémorrer plus tard, car
un cerveau vide est la boutique du diable
.
Si l’étude du corpus des dictons relatifs au corps humain a mobilisé depuis les années 50 moult sociologues, ethnographes et historiens montrant les diversités culturelles aux limites géographiques et temporelles très variables, l’exposition indique que ce ne sont pas des matières inertes, mais qu’ils constituent un patrimoine transversal à condition de rester vivants dans leur emploi.
La femme qui s’entend avec son mari fait tourner la lune entre ses doigts.
À quoi servent ces dictons ? : « ils véhiculent une sorte de somme rationnellement organisée des corps physiques et des corps sociaux et des dysfonctionnements auxquels ils pourront être ou seront, sans faute, soumis » répond le commissaire. Et c’est bien cela qui les rend souvent si actuels : notre corps, même truffé de prothèses ou soutenu par une médecine à l’efficacité croissante, est le même, nos travers moraux sont les mêmes. Un tsar n’existe peut-être plus mais les comportements de nos politiques en ont parfois les traits.
Les mouches se posent même sur le nez d’un roi.
Si les rapports entre hommes et femmes sont souvent évoqués -comment pourrait-il en être autrement quand on parle du corps- la gestion des émotions et des rapports conflictuels de l’homme, demeure, elle, identique.
C’est le nez qui reçoit le coup et ce sont les yeux qui pleurent.
Ici les références puisent dans un passé, dont la présentation ne sent pas la naphtaline, mais qui est cependant fortement rural ou marqué par le religieux, la superstition, la technique artisanale, et dans lequel les hommes devaient faire face à nombreux risques. Ce passé –la beauté des objets risque de nous le rendre idéalisé-, fait (res) surgir des expressions que nous avions oubliées ou qui nous sont inconnues. Dans chaque vitrine, on trouve néanmoins un objet contemporain particulièrement bien choisi.
Angélique Lefèvre. Vanité, 2007, Organdis brodé
Si l’optimisme vient de Dieu, le pessimisme est né dans le cerveau de l’homme.
Béatrice Pasquali, Tavolla delle fiandre, 2003, Installation de têtes de cire.
La phrénologie ayant localisé les fonctions dans des régions précises du cerveau, la culture populaire en a déduit que les caractères déterminaient la forme du cerveau donc celle du crâne.
En présentant un ensemble de têtes toutes identiques et en annulant ainsi les différences où se cristallisent les présupposés, l’artiste prend le contre-pied de ces fausses idées et affirme le dénominateur commun de l’homme : c’est un être de pensée.
Le prix de votre chapeau n’est pas la mesure de votre cerveau.
Julien Prévieux, Mallette N°1, « Ministère de l’intérieur », 2006.
Contient des tampons encreurs à la signature et aux empreintes de Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’intérieur particulièrement sensible aux questions de la sécurité. Ils sont susceptibles d’être posés à l’insu de la personne sur des documents, des objets avant peut-être d’être analysés par la Police…, Lire le portefolio
La paix avec un gourdin, c’est la guerre.
Alba D’Urbano, Le couturier immortel, 1995, toile peinte.
Un artiste dessine sur une robe le corps nu d’une femme possédant tous les attributs de la jeune beauté. Une étrange manière de montrer ce qui est caché et qui n’est pas vous, de vous rendre inaltérable au temps… Vous pouvez même acheter ces robes sur Internet
D’un seul homme, on ne peut tirer deux peaux.
Maurizio Cattelan, Cuore, 1990, carton et plexiglas.
Une découpe d’emballage d’une pièce fragile d’Alfa Roméo. Tout est signifiant : Roméo, le papier collant déchiré, le rouge, la pliure du carton, l’inclinaison (à droite et non le caractère centré habituel), l’enfermement dans un cadre transparent. Le sort de tout homme ?
Si mon cœur est étroit, à quoi me sert que le monde soit si vaste.
Des jongleurs de la langue comme Raymond Devos, Coluche, Michel Bouvard, Michel Audiard ou Jean-Pierre Jeunet (cf. Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain), des chanteurs ont introduit des expressions qui font aujourd’hui florès et sont déformées ensuite progressivement sans que l’on sache qui en est l’auteur. Elles se diffusent très vite grâce aux réseaux sociaux produits par les nouvelles technologies, ou encore par le renouveau des cultures régionales, et réctualisent la force des dictons,
On souhaite une suite à, cette exposition, qui intègrerait le parler "Djeune", les expressions reprises de nos médias, des chansons, (cf Parle à ma main à voir et écouter ) etc. Il s’agirait alors de comparer les éléments de sagesse qui s’en dégagent ; il n’est pas sûr que notre époque en sorte nettement gagnante…
Il y aura toujours « un corps entre nous » et donc besoin d’éclairer la médiation du langage nouvellement populaire, pour se construire individuellement et socialement.
[(Fondation Électra
6 rue Récamier, 75007 paris
De 12h à 19h
Jusqu’au 27 septembre 2011
Exposition gratuite)]