Texte de la commissaire
Reprenant la célèbre formule de Darwin « Fossiles Vivants », l’exposition, composée de trois sculptures en céramique, navigue dans l’univers fantastique des fossiles. Se référant aux premiers abords à l’iconographie naturaliste, l’artiste pioche dans différents modèles de figuration, brouillant les pistes de l’espace-temps dans lequel nous nous trouvons. La céramique qu’on pétrifie et cuit permet ici de condenser le temps et venir retrouver celui de l’Histoire, qu’elle soit minérale, organique ou humaine.
Si on lui demande de définir sa démarche pour l’exposition, le mot qu’elle évoque est « Diploma », en latin, celui qui se penche, celui qui fait communiquer les mondes qui ne se parlent plus, qui ne se comprennent plus. Notion ambivalente dans son utilisation comme dans sa récupération possible, elle est aussi le titre de l’œuvre centrale de l’exposition : une colonne vertébrale en mouvement suivant le principe de la chrono photographie, inspirée de Muybridge. Aux allures de fougères au charme sauvage, cette « forme vivante » souligne l’ambivalence du squelette et les liens entre théories évolutionnistes, mouvements artistiques et philosophiques sur la question des origines, de la création et de la place de l’Homme dans l’univers.
Continuant à jouer avec le rôle des ossements dans la classification du vivant, « Pierre figurées », deux os de baleines en céramique incrustés de visage inspiré de l’art inuit, communauté d’Amérique du Nord caractérisé par une proximité avec la nature et une forme de panthéisme où les êtres humains et éléments naturels ne sont pas considérés comme des catégories de pensée distinctes.
« Pétra », libre interprétation d’une mâchoire de requin, amalgame le signe de l’infini et celui des lunettes que l’on chausse pour regarder le monde. Cette sculpture vient relier aux questions du vivant celles du capitalisme industriel basé sur l’extraction et l’exploitation des énergies fossiles.
C’est la perception occidentale qui l’intéresse dans le rapport au vivant, où tant de récits restent à revisiter. Selon elle, « l’idéologie du progrès et les bouleversements des époques modernes se sont faits de manière extrêmement violente ». La nécessité de dire comment ils se sont réellement passés est le moteur de son inspiration. L’histoire du vivant est une histoire politique. De là découle une exploration dans diverses disciplines, histoire, anthropologie et littérature, afin de créer de nouveaux récits. Après un chapitre sur l’œil et la forêt, c’est aujourd’hui vers la pêche qu’Elsa Rambaud applique sa « méthodologie de la coïncidence ». Elle se plonge dans les transformations du littoral et du rapport à la mer depuis la fin de la féodalité, entre contrôle progressif de l’État et l’interdiction de pratiques socio-économiques millénaires comme les barrages à poissons.
Inspirée par les travaux d’anthropologie et d’histoire des sciences de Bertrand Hell, Carolyn Merchant ou encore Charles Stepanoff, elle les rejoint par ces enquêtes immersives, qui documentent l’érosion accélérée de la biodiversité rurale, l’éthique de ceux qui tuent pour se nourrir, les îlots de résistance aux politiques de modernisation. Au fil de ces réflexions, elle nous fait découvrir un jour nouveau les fondements anthropologiques et écologiques de la violence exercée sur le vivant.
Politique, son travail croise celui de Beuys qui dans les années 70 crée le concept de sculpture sociale devant permettre d’arriver à une société plus juste. « En matière écologique, l’intelligence passe toujours par l’empathie » Charles Stepanoff.
Angéline Scherf, commissaire – février 2022
Biographie
Vernissage mercredi 9 mars de 18h30 à 21h en présence de l’artiste.
L’artiste, Elsa Rambaud
Née en 1996 à Lyon, Elsa Rambaud vit et travaille à Paris.
Après une école d’ingénieur, elle est diplômée en 2020 de la Design Academy Eindhoven avec les félicitations du Jury. Son travail s’articule autour d’(En)quêtes, une recherche artistique polymorphe qui se concentre sur la création de récits développés comme un moyen de perturber les historiographies dominantes. Ces enquêtes situées veulent interroger l’ambivalence de certains objets comme l’œil, la forêt ou encore l’empreinte et revenir sur les notions d’observation et d’exploration, d’artificiel et de naturel, du rationnel et du sensible. Dans ces recherches de nouvelles formes de récits et de représentations, la céramique tient une place centrale. Après une résidence au European Ceramic WorkCenter à Oisterwijk, le travail formel de la terre est devenu structurant comme manière d’imaginer de nouveaux regards et de nouveaux assemblages. Ses sculptures et installations ont été exposées au Het Nieuw Instituut (Rotterdam), à la Dutch Design Week (Eindhoven), à la Galerie Suzanne Tarasieve (Paris), au Séchoir (Mulhouse).