L’étrangeté donnée à voir : la déconstruction comme méthode de peinture.
On connaît bien cette galerie parisienne réduite à une vitrine et présentant de jeunes artistes qui accèdent à la reconnaissance des musées contemporains ou de grandes galeries. Avec cette œuvre intrigante pour l’œil, la commissaire donne à voir une démarche à la fois classique, la peinture ; référencée dans l’art contemporain par la technique de la sérigraphie comme chez Andy Warhol ; et située dans le registre de la citation, une « Annonciation » de Léonard de Vinci.
De loin, l’œil voit une silhouette de couleur sourde qui émerge d’un fond dans les mêmes teintes. Le visage de profil, la finesse d’une main se détachent. On reconnaît une scène de visitation très classique et familière, ce pourrait être un nième déjà-vu dans les catalogues, manuels ou revues. Et pourtant, c’est très nouveau dans sa globalité. En outre, dès que l’on se rapproche, tout semble se brouiller comme dans les tableaux post-impressionnistes dont Signac est le plus expressif. Sa technique est au service d’un projet : parasiter une image pour revenir à la peinture.
L’artiste le fait en creusant et détournant l’attention : du sens initial du tableau et du titre, elle ne retient que le symbole médiéval de la virginité, « Un jardin clos ». Alors que le tableau initial était réalisé en touches continues de couleurs selon de l’idéal de beauté traversant la Quattrocento, elle décompose l’image en particules élémentaires, des signes, des sortes de calligraphies. Mais ce ne sont pas des pixels, ces minuscules à-plats de couleur devenus si communs dans la représentation contemporaine.
Alors que le long tableau de tableau de Léonard de Vinci était centré sur le vide, l’ange à gauche et la Vierge à droite, Eva Nielsen cadre sa composition sur l’espace entre les yeux de l’ange et la main, ce qui est un vide d’un autre type et ô combien signifiant pour une peintre !
De la multiplicité des plans bien distincts du modèle de départ, des fleurs aux montagnes, elle ne retient que des points qui s’entremêlent.
Ici, ce qui importe, c’est la dynamique de la forme décomposée et non la couleur. L’adoption d’une même tonalité, le brun, la couleur de la terre et non du ciel, renforce l’effet.
L’artiste réussit à nous faire entrer dans sa peinture, dans le jardin clos de sa capacité de création tout en déplaçant partiellement la symbolique du tableau initial. C’est une œuvre dont l’objet est une question : qu’est-ce que peindre aujourd’hui, annoncer, visiter, ouvrir de nouveaux chemins de contemplation artistique ?
Analyse de l’œuvre par la commissaire d’exposition
Eva Nielsen est peintre. Ses tableaux parlent d’espaces abandonnés, dans lesquels il ne reste plus que l’absence. Mêlant une palette aux tons sourds à la technique de la sérigraphie, l’artiste travaille au seuil de l’abstraction et de la figuration. Elle construit chaque nouvelle œuvre avec une succession de couches : les paysages du dernier plan sont légèrement flous et en contradiction avec les éléments du premier plan, le plus souvent de nature architecturale.
Cette esthétique de fin du monde porte également en elle une dose d’espoir ; comme si tout était possible, comme une nouvelle chance donnée à l’humanité.
Le décor de ses œuvres semble familier : un paysage enneigé, une zone périurbaine désertée, une solitude comme nous en avons tous expérimentée. Cependant Eva Nielsen convoque ses propres références, construisant des scènes qui paraissent être entre-aperçues à travers la vitre d’un train, transmettant une impression de déjà-vu tout en portant en elles leur propre disparition. Chaque nouvelle peinture apparaît comme la réminiscence d’un rêve de l’artiste :
nous reconnaissons certains éléments, mais au moment de les nommer ils sombrent à nouveau dans l’oubli, nous laissant seuls face à un paysage désolé.
La jeune artiste réalise une nouvelle œuvre pour son exposition « Un Jardin Clos ». Inspirée à la fois par la situation de la Galerie Saint-Séverin – une vitrine – et par l’Annonciation (1473- 1475) de Léonard de Vinci conservée à la Galerie des Offices à Florence, elle a tout d’abord voulu s’appuyer sur un sujet emblématique de la peinture, revisité de manière contemporaine par des artistes tels Andy Warhol ou Gerhard Richter.La scène se déroule dans un ‘hortus conclusus’, le jardin clos symbole depuis le Moyen Âge de la virginité de la Vierge. Eva Nielsen s’intéresse particulièrement à la partie gauche de l’Annonciation : « le traitement par De Vinci du paysage est très riche en plans, strates et l’horizon (contrarié) me passionne. Le filtre de la sérigraphie qui parasite l’image vient questionner la peinture. » La sérigraphie en effet vient ici ‘abimer’ la peinture, rendant apparentes les différentes étapes de la réalisation de l’œuvre, tout en renvoyant aux techniques de la fresque.
Daria de Beauvais