Tout commence par une immense et généreuse solitude. Malade et alité, il n’a pour compagnons que ses rêveries et une grand-mère qui l’accompagne dans un monde où tout est possible, paisible et secret. Quelques années plus tard, la visite de l’atelier de Brancusi le conduit à Londres où il installe son premier atelier dans le quartier de Portobello. Il sera peintre. Ou sculpteur. Ou… poète.
Le hasard le mène jusqu’à Bruxelles où, lors d’un banquet il s’ennuie prodigieusement. À partir de la mie de pain, le voilà qui fabrique de petits visages aux grands yeux et bouche ouverte. Il en emporte quelques-uns, les garde précieusement sans savoir qu’en faire jusqu’au jour où il rencontre Simon du Chastel, une autre personnalité de l’ancienne noblesse, grand collectionneur d’art africain et aventurier au grand cœur. Le contact est immédiat. Et voilà le jeune artiste accueilli dans le domaine du comte situé en bordure de la forêt de Soignes.
Le voilà promeneur, chasseur cueilleur de fragments d’écorces, de racines mises à nu, de feuilles tombées, de mousses roussies, de bogues et d’écales, de plumes aussi et de toutes sortes de brisures de bois mort qui l’attendaient et qu’il emporte. Dans l’atelier, naissent les premières figures, gardant toutes, ce même visage blanc. Il en fait des anges et des rois et des reines parmi la foule des autres : le peuple de l’Arbonie se dresse.
En petits groupes ou en solitaires, ces êtres de feuilles vont se déposer au creux d’une souche, se répandre telle une armée sur un vase terrain de terre, se perdre dans un fouillis de racines. Parfois, il en offre un à la forêt et l‘abandonne au pied d’un chêne, d’un hêtre, d’un noisetier. Mais peu à peu, ce peuple se fait nomade. Il avance, avec lenteur semble-t-il, en procession, entourant un chariot sur lequel, Jephan de Villiers a déposé une sorte de cosse géante couverte d’une écriture inventée, des arboglyphes. On ne saura rien de ce qu’elle contient. Rien de ce qui est écrit. Mais l’artiste y a bien déposé quelque chose.
Puis, en 2000, l’artiste quitte Bruxelles et rejoint la Charente Maritime où tous les jours depuis, il se promène solitaire, le long de l’estuaire à la recherche de nouveaux fragments qui l’appellent : « Prends-moi. Donne-moi la vie. Fais-moi rejoindre mon peuple d’Arbonie. » Ainsi va ce peuple du silence qui sous les fracas du monde, garde la sagesse oubliée des peuples de l’éphémère. Des peuples comme l’indique le tire de l’exposition, appartiennent à « l’autre terre ».
Guy Gilsoul