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Arles 2022. La focale est aux femmes



Les Rencontres photographiques d’Arles 2022 ont chahuté le regard. Notamment parce qu’elles ont donné un rôle clef aux femmes, de l’ouverture d’archives à la création la plus récente.

Frida Orupabo, Deux têtes, 2022

Apparemment les Rencontres 2022 ressemblaient aux précédentes dans leur structuration. Néanmoins, le directeur Christoph Wiesner, nommé en 2021, a affirmé sa marque et sa culture internationale en étudiant le rapport de la photographie à la performance au sens large mais aussi l’utilisation de la photographie comme médium de revendication dans les avant-gardes féministes. Il a par ailleurs voulu valoriser un travail introspectif sur le corps humain, toujours par la focale des photographes femmes.
Autre élément de continuité, le musée privé Luma a pris sa vitesse de croisière avec des expositions internes innovantes ainsi que par la récupération de la plupart des Ateliers ferroviaires mythiques qui avaient été le chaudron culturel des premières éditions publiques des Rencontres d’Arles.
Ce rapport entre Stabilié/Changement se perçoit aussi dans la manière de classer le grand nombre d’expositions qui ont envahi la ville : Performer, Expérimenter, Emerger, Explorer & Témoigner, Revisiter et bien sûr Arles associé. Les œuvres à découvrir étaient empreintes du vocabulaire de l’action et de la création.
V&D vous propose quelques arrêts sur image.

Une Avant-garde féministe des années 1970
L’exposition pour la première fois en France de plus de deux cents œuvres de soixante-et-onze femmes artistes de la Collection Verbund à Vienne, constituée pendant dix-huit ans sur la période des années 1970, a pu être un choc pour les visiteurs. À travers cinq thématiques, l’exposition présente les travaux des premières artistes qui proposèrent une nouvelle « image de la femme », dénonçant le sexisme, les inégalités sociales et les structures du pouvoir patriarcal. S’il est ici question d’« une » avant-garde, c’est pour faire référence à la diversité des mouvements féministes, pensés selon une approche d’aujourd’hui intersectionnelle, tenant compte des différents types de discriminations dont de nombreuses artistes ont été et sont encore la cible, en raison de leur race, de leur classe ou de leur genre. On peut se demander si une telle Avant-garde trouverait sa place aujourd’hui.

Valie Export, La Madone accouchant, 1976 (référence à la Pietà de Michel Ange)
Birgit Jurgensen. Hausfrauen – Küchenschürze, Femmes au foyer – Tablier de cuisine, 1975

Double autoportrait issu de l’esthétique des photos criminelles : à gauche, la femme arbore un tablier en forme de cuisinière, dans le four, cuit un rôti – allusion littérale à l’expression allemande « avoir un rôti au four », qui signifie être enceinte ; à droite allusion phallique.

Helena Almeida, Etude pour deux espaces, 1977
Birgit Jürgessen. Sans Titre (Moi avec la fourrure) 1974

Sur le visage, une fourrure de renard pour symboliser la fétichisation de la femme. Le déguisement comme instrument de définition identitaire. un hommage à Meret Oppenheim, écrivaine et artiste plasticienne surréaliste.

Lee Miller, photographe professionnelle (1932 - 1945)
L’exposition présente l’un des chapitres les plus intenses et les plus productifs du parcours professionnel de la photographe américaine, Lee Miller (1907–1977).
Entre 1932 et 1945, elle est à la fois portraitiste, à la tête de son propre studio de prises de vue à New York (1932–1934), photographe de mode et de publicité pour des marques de parfums et de cosmétiques (1932–1945), et photoreporter de guerre, notamment reconnue pour ses images des camps de concentration allemands de Dachau et Buchenwald (1942–1945). Le parcours riche, fait d’allers-retours entre ces diverses pratiques, propose d’enrichir le portrait d’une personnalité souvent réduite à sa collaboration avec l’artiste américain Man Ray, et à ses liens étroits avec le mouvement surréaliste des années 1920.
Deux points de ce parcours attiraient l’attention : la qualité de rédactrice de la photographe qui rédigeait elle-même des articles de fond ; la place donnée par Vogue à ses reportages de guerre, non sans tension car il ne fallait pas choquer la lectrice américaine par les horreurs de la guerre.
Les prises de vue sont tributaires de son expérience de travail avec des modèles et d’un respect inhérent.

Femme accusée d’avoir collaboré avec des Allemands, rennes, 1943
LEE MILLER Autoportrait avec bandeau Lee Miller Studio Inc NewYork, Vers 1932 Épreuves gélatino-argentiques, tirages d’époque. © Archives Lee Miller, Angleterre 2022.
Vogue, 1945

Théatre sur terre
Wang Yimo
Lauréate Du Jimei X Arles Discovery Award 2021
Née en 1996 à Chongqing, Chine, elle vit et travaille à Chengdu.
L’exposition de Wang Yimo se compose d’une vidéo, d’animation expérimentale et d’installations lumineuses, avec en toile de fond une centrale électrique désaffectée. Pendant longtemps, la centrale a reflété non seulement la réussite de l’industrialisation de la Chine, mais aussi les luttes d’une génération entière, dans la poursuite du rêve socialiste. L’artiste a invité des ouvriers à revenir sur leur lieu de travail, dans une séquence saturée de souvenirs. L’œuvre, telle une élégie flottant sur les ruines, hante ce théâtre vide imprégné de la mémoire collective.

Capter le mouvement dans l’espace
Babette Mangolte, née en 1941 à Montmorot (France), vit et travaille à New York.
Cette figure majeure de notre temps a été lauréate du Prix Women in Motion en 2022.
Installée à New York dans les années 1970, la cinéaste et photographe expérimentale Babette Mangolte a documenté la scène chorégraphique et performative de la ville. Dès cette période, elle a développé un langage photographique et cinématographique fondé sur la subjectivité de la caméra, le rôle central du spectateur dans le dispositif, et la relation du corps humain à l’espace. Dans les années 1980, elle poursuit cette recherche de manière active et rigoureuse, et participe activement à la définition et à la construction d’une archive de la performance, afin de l’inscrire dans un temps et un contexte précis.

Entrée de l’église Sainte-Anne
Trisha Brown, Water Motor, 1978

Bettina. Poème du renouvellement permanent
Bettina Grossman ( 1927 -2021 ), se faisant appelée Bettina, a vécu et travaillé à New York. A partir des années 70, elle s’est installée dans le légendaire Chelsea Hotel après un événement traumatisant , un incendie ayant détruit une grande partie de son œuvre.
Après des années à produire de manière intensive dans l’isolement, l’artiste a été présentée dans deux films documentaires où l’on a pu découvrir un exemple significatif de l’originalité des productions en photographie, vidéo, peinture, sculpture ou design textile.
Dans les œuvres sérielles qui sont présentées, on retrouve des formes géométriques répétitives, intemporelles à la dimension transcendantale.

Série New York phénoménologique /Motifs de la circulation, 1976-1986

Katalog
Barbara Iweins, née en 1974, vivant et travaillant à Bruxelles, a fait une des œuvres les plus drôles des satellites de la Rencontre 2022.
Collectionneuse névrosée comme elle se définit, elle a été influencée par le travail de Sophie Calle pour parler d’elle. Elle a déménagé 11 fois dans la vie et chaque fois la quantité d’objets à emballer l’a terrifiée. Pendant deux ans elle a photographié, sans filtre ni sélection, les 12795 objets de sa maison. Puis par une classification rigoureuse, elle les a répertoriés selon leur matériau, leur forme, leur couleur, leur degré d’utilisation, etc. Elle en a isolé quelques-uns d’essentiel et a raconté de courtes histoires aussi drôles qu’émouvantes autour d’eux.
Par ailleurs, elle a fait de ces photos un catalogue vendu lors des Rencontres. C’était donc une exposition de soi poussée au paroxysme.

Lire aussi en complément

Jacqueline Salmon
Avec « Le point aveugle. Périzoniums, études et variations », l’exposition du musée Réattu était une des plus stimulantes. V&D lui a consacré un article dossier.

Patrice Giorda, Le Christ de l’abandon, 1989

Jean Deuzèmes

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