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Khaled Dawwa. « Debout (Le Roi des Trous) »



Une installation-monument détonne sur le Socle. Un tyran non pas dans la gloire, mais en route vers la déchéance par son corps massif. La dénonciation des potentats de toutes espèces, par un sculpteur syrien, exilé en France. Vernissage 25 juin 2021

L’artiste syrien Khaled Dawwa, né en 1985, réfugié politique en France depuis 2014, occupe une place centrale parmi les plasticiens venus de ce pays. Avec ses hommes ventripotents inertes assis dans leur fauteuil, il parle du pouvoir absolu et destructeur, celui qui est à l’origine de ses propres blessures, de son emprisonnement, puis de sa fuite pour la France. Mais ce n’est pas seulement la situation syrienne, l’actualité politique de son pays ou les méthodes de destruction qu’il évoque. En agrémentant ses personnages de chiens, de barils d’explosifs, d’urnes électorales, il symbolise celui qu’il appelle : « lui », le Pouvoir.
Les statuettes qu’il a déjà réalisées, regroupées sous le nom de série « Debout », sont bien connues et constituent le cœur de son compte Facebook « Clay & Knife », « la terre et le couteau », son matériau et son outil de sculpteur. Les trous dans la peau de son personnage signifient la destruction à venir de l’oppresseur, la mort de sa politique. Mais quand ? Telle est la question que pose cette œuvre manifeste.

Invité par le collectif 6M3 à installer sur Le Socle une statue de cette série, de juin à septembre 2021, l’artiste a changé à la fois d’échelle et de matériau (mousse expansive et plâtre) pour en faire une statuaire publique, mais dans le même esprit que les statuettes. Avec un personnage de 3,5m de hauteur, la force symbolique est redoublée et l’artiste renoue avec la tradition qu’il avait détournée au début de sa série. Son œuvre politique, initialement destinée à des espaces intimes ou de galerie, sort désormais sur l’espace public.

Khaled Dawwa est un sculpteur qui parle en permanence, mais sous de multiples formes, de la Syrie martyrisée et de son peuple. Ainsi pour l’exposition en cours à la Cité Internationale des arts, il a créé la maquette d’un morceau de cité détruite (dans un des quartier de La Ghouta, au nord de Damas), « Voici mon cœur ! » : un autoportrait intérieur [1] impressionnant et beau. Lire Voir et Dire >>>

Avec « Debout (Le Roi des Trous) », il reste dans la monumentalité.

Dans l’histoire de l’art, la statuaire, en bronze ou en pierre, donne un caractère d’immortalité aux hommes politiques, notamment les rois et empereurs. En les concevant pour l’espace public, les artistes cherchent à exprimer leurs qualités par des postures et des habits les plus divers : debout, à cheval [2], assis, en mouvement, avec un apparat significatif. Le traitement des visages exprime des caractères, incarne des valeurs et parfois vise à susciter l’admiration, l’adhésion, voire dans les régimes totalitaires exige la soumission. En effet, la commande publique des statues a souvent à voir avec l’expression de la puissance, du pouvoir, voire de la tyrannie. Quand l’histoire se retourne, on met symboliquement en scène le renversement par celui des statues. Ainsi en 2003, le déboulonnement de celle de Saddam Hussein par des Irakiens largement assistés par les Marines américains est une séquence cinématographique connue. Le Parc des Arts Muzeon de Moscouest le célèbre cimetière des statues de l’époque soviétique, dont celles de Staline.

Depuis plus de dix ans, la question des potentatsest devenue très vive dans les pays arabes. Les artistes s’en sont saisis sous de multiples médiums. Khaled Dawwa est un sculpteur qui a une approche singulière. Il exprime avec de l’argile sa solidarité avec tous ceux qui souffrent et revendiquent la liberté, il signifie ce que la presse relate de son pays. Au travers de « Debout », figure générique dans ses statuettes, il interprète de manière puissante la tyrannie de Bachar-el-Assad, destructeur de son propre pays, non pas seulement ce que lui et sa famille ont souffert jusqu’à l’exil, (voir courte vidéo Arte Khaled Dawwa, artiste syrien en exil), mais toutes les formes d’oppression politique, sociale, économique, et religieuse. Son personnage devient un symbole universel. Il est LE POTENTAT.

Conçues en terre, son matériau de prédilection, ces statuettes, de taille petite pour des raisons économiques, se transforment progressivement : le bronze, et maintenant les matériaux mixtes et une grande échelle.

Mais le personnage a toujours la même posture : engoncé dans son siège, ventripotent, impassible à tout et à tous ceux qui le regardent, avec un visage inexpressif, les yeux dans le lointain, semblant là depuis des temps anciens. Ses bras sont appuyés sur les bras du fauteuil, il semble ne faire qu’un avec lui. Son corps est écrasant, il écrase tout. Et il est fondamentalement seul.

D’une statuette à l’autre, des détails changent (Voir Instagramou faire défiler son Facebook).

Si la forme du sujet est une constante, le traitement de la peau, du vêtement, du siège en est une autre : les trous sont partout, ceux des vers, de l’érosion du temps, des corps vivants. La dégradation affecte tout : les bourreaux comme les victimes, les potentats comme les gens ordinaires, les régimes dictatoriaux, mais aussi les régimes démocratiques si l’on n’y veille pas. Et bien sûr les territoires en guerre, les murs marqués par les balles, les villes éventrées par les bombes. Au lieu d’immortaliser un personnage par la sculpture, il signifie le pouvoir de la dégradation que le potentat ne peut extirper, il fait même subir cette dégradation à ses statuettes en les exposant aux intempéries, ce qui est le cas avec celle érigée sur le Socle.

« Debout (Le Roi des Trous ) » appartient à une série dont on ne connaît pas la fin. Son titre est un facteur d’unité, il est suivi d’un terme qui précise le sens de l’objet. « Debout » possède plusieurs sens possibles : l’opposition physique au tyran effondré immuable dans son siège, un cri protestataire de manifestation, un appel à la dignité, mais aussi ce qu’a vécu l’artiste quand il était en prison dans une cellule sur-occupée où seule la posture verticale était possible. « Le Roi des Trous » affirme que ce potentat cravaté est promis à la disparition, mais quand ?

Cette œuvre politique grave, ancrée dans le tragique de l’histoire, a les traits de la satire, de la provocation, de l’absurde comme dans « Ubu Roi », la pièce d’Alfred Jarry (1896), dont le personnage a des traits physiques proches. Mais l’œuvre de Khaled Dawwa n’est pas une farce, c’est une réalité universelle, une invitation à ne pas baisser les bras.

Jean Deuzèmes

Dans La destructivité en œuvres. Essai sur l’art syrien contemporain, Presses de l’IFPO, Beyrouth, mai 2021, Nibras Chehayed et Guillauyme de Vaulx d’Arcy analysent avec une très grande finesse les travaux de onze artistes syriens et apportent leur point de vue riche de références philosophiques sur les statuettes de Khaled Dawwa.

L’autre grande œuvre de Khaled Dawwa "Voici mon cœur", est visible jusqu’au 10 juillet à la Cité Internationale des arts dans l’exposition « Répare, Reprise ». Lire analyse de cette immense installation dans Voir et Dire >>>

[*Si vous avez aimé cette sculpture installée sur l’espace public par le collectif 6M3, vous pouvez soutenir ses initiatives. Votre don bénéficie d’une défiscalisation car 6M3 est une association d’intérêt général. *]


L’œuvre est à voir de jour comme de nuit au 80 rue Saint-Martin, 75004 Paris du 25 juin jusqu’à la mi-septembre 2021.

Vernissage 21 juin 18h30 par le maire de Paris-Centre


[1Ainsi Khaled Dawwa demeure accroché par l’esprit à la Ghouta, un quartier nord de Damas qui fut l’un des premiers à se rallier à la Révolution, mais qui en 2018 est devenu un quartier martyr en s’écroulant sous les bombardements et les attaques chimiques. Il y représente les pierres, les escaliers et terrasses, les logements auxquels il était attaché. Avec cette œuvre monumentale qu’il ne cesse d’étendre en 2021, l’artiste ne vit pas dans la nostalgie, mais il est encore dans l’instant du choc, alors qu’il a poursuivi sa vie ailleurs.

[2Les statues de Henri IV sur le Pont Neuf ou de Louis XIV Place des Victoires à Paris sont bien connues. Celles de Napoléon parsèment la France.

Messages

  • Je regrette fort d’habiter loin de Paris, car ces oeuvres sont impressionnantes, que ce soit "Le Roi des Trous" ou le quartier de la Ghouta. J’espère pouvoir être devant ces oeuvres magistrales un jour ou l’autre, elle sont un témoignage vibrant.

  • Les sculptures de Khaled Dawwa sont d’une rare puissance...
    Il faut courir toutes affaires cessantes se heurter à cet implacable portrait "du" dictateur, celui qui écrase, qui contraint, qui humilie, qui lamine tout sur son passage, qui se pense au-dessus de tous et de tout, à commencer par les lois...que d’ailleurs il édicte à sa convenance.
    Khaled Dawwa n’a pas son pareil pour nous faire ressentir l’écrasante omniprésence du dictateur...Il fait aussi partie des artistes qui traduisent avec force l’enfermement implacable dans les prisons du dictateur...
    Bravo l’artiste !

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