Nicolas Nixon (né en 1947 à Détroit) est marqué par le lien qui unit sa femme Bebe à ses trois sœurs cadettes, Heather, Mimi et Laurie.
Il les photographie ensemble chaque été depuis 1975, côte à côte et toujours dans le même ordre, de gauche à droite. La pose varie légèrement, elle révèle les évolutions de l’époque par les vêtements ou les coiffures, elle exprime surtout par les variations légères des rapports entre les quatre sœurs : de la distance lorsque personne ne se touche à l’enlacement du groupe affirmant sa solidarité face au temps qui s’écoule. Cette constance du projet donne une valeur universelle à la résistance de l’amour familial, alors que les rides et la transformation des corps témoignent du passage de l’âge. La vitre de protection de chaque photo joue la fonction des tableaux miroirs de Pistolleto où le visiteur se voit dans la position du photographe et est associé à l’œuvre, ici quatre femmes qui le regardent intensément, avec leur bonheur d’être encore ensemble chaque année.
La finesse des tirages participe de sa méthode et contribue à l’universalité de ces tableaux en noir et blanc : photos d’extérieur en grand format et tirage par contact direct.
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Harry Callahan (1912-1999) est un photographe qui a marqué des générations d’artistes par sa rigueur de composition mise en œuvre dans ses trois axes de prédilection, la ville, la nature et sa famille. La grande exposition Variation de 2010 en avait souligné la force.
Marié pendant 63 ans à Eleanor, il l’a photographiée presque de manière obsessionnelle pendant plus de deux décennies (1941-1963). Elle, d’éducation méthodiste, s’est laissée convaincre par le regard pudique et distancié de son mari, dans l’espace public ou dans l’intimité, habillée ou nue.
« Cela faisait partie de notre vie quotidienne, il aimait juste prendre des photos de moi. Dans toutes les poses, à n’importe quel moment et quoi que je fasse. Il pouvait dire ‘Viens vite Eleanor, la lumière est belle, et j’arrivais. J’étais toujours là pour lui, car je savais que Harry ferait quelque chose de bien [1] » .
Les photos ne sont pas simplement celles d’un homme amoureux, quoiqu’il le fût, mais celle d’un artiste qui s’appuie toujours sur le même modèle pour faire des recherches sur la lumière, les poses, les compositions dans des milieux toujours différents, une expérience plus profonde encore que chez les peintres [2]. Ses séries font d’Eleanor une sorte d’icône de la femme et de la mère.
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Robert Frank (né en 1924 à Zurich) dont la grande œuvre Les Américains (1958) a accompagné la découverte des poètes de la Beat Generation, est passé par le film avant de revenir à la photo en 1972, sous la forme d’autofictions. « Depuis 1972, dans les temps morts que me laissent mes films ou mes projets de film, je photographie. En noir ou en couleurs. Quelquefois j’assemble plusieurs images en une seule. Je dis mes espoirs, mon peu d’espoir, mes joies. Quand je peux, j’y mets un peu d’humour. Je détruis ce qu’il y a de descriptif dans les photos pour montrer comment je vais, moi. Quand les négatifs ne sont pas encore fixés, je gratte des mots : soupe, force, confiance aveugle... J’essaie d’être honnête [3]."
En 1974, il perd sa fille dans un accident d’avion et son fils décède en 1994. Son travail devient alors très sombre. Dans ses montages, il écrit sur le tirage ou gratte le négatif sans que l’on sache décrypter les scènes, sauf quand il mentionne explicitement ses enfants. Ses clichés prennent des allures de mystères où le désarroi, la solitude, le marquage du temps transparaissent.
Deux vidéos sur Harry Callahan et son influence
Brève (5’)
Longue (30’)
Jean Deuzèmes