Présentation par le commissaire de l’exposition
Artiste chypriote, Maria Loizidou, qui a fait ses études artistiques à l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Lyon, vit et travaille à Nicosie. Elle développe depuis ses débuts un travail où la sculpture procède aussi bien de la terre que du métal, de la résine que du papier ou bien de la fonte. C’est ainsi qu’elle adopte une posture où les matériaux les plus divers deviennent aussi bien des dessins que des peintures ou des sculptures qu’elle propose d’installer à l’intérieur comme à l’extérieur. Les œuvres, quels que soient leurs supports et techniques, peuvent-être posées, fixées ou suspendues. Pour la Galerie Saint-Séverin, l’artiste met en scène la présentation en 3 dimensions d’un précepte comme celui de la découverte de la Connaissance, une notion universelle comme celle de dieu et du sacré mais qui, aujourd’hui, est encore trop souvent difficile d’accès. Le titre « La statue aux yeux ouverts pour mieux entendre » sonne comme une interrogation, une énigme venue de notre Antiquité occidentale, celle qui prend ses racines sur les rives nord de la Méditerranée entre Chypre, la Crête et la Grèce.
La quête de la Connaissance se nourrit de ce qui a été, de ce qui se fait, de ce qui nous devance ou plutôt de ce que certains, les visionnaires, arrivent à projeter et inventer. Alors la statue, que Maria Loizidou installe sur son nuage, est munie d’une longue-vue greffée à son œil gauche afin de pouvoir observer et s’approcher de la Connaissance, cette matière nourricière qui produit l’intelligence chez l’Homme en regard des diverses sciences inventées puis développées, comme celles des arts plastiques, son « univers premier ». Mais l’artiste, riche de sa culture hybride, entre la culture antique et celle judéo-chrétienne, regarde également l’architecture cette « science » où, dans les temples antiques comme les églises chrétiennes, tous les arts se côtoient : la peinture, la sculpture, la mosaïque, l’écrit, le chant et la musique et même une certaine idée de la mise en scène afin d’orchestrer le cérémonial. C’est donc avec un regard, sous inspirations multiples, que Maria Loizidou dresse sa mise en scène composée d’un dessin, d’une paire d’oreilles, d’un tissu et de trois sculptures.
Maria Loizidou dispose son argument de façon à ce que le vide soit aussi important que les œuvres exposées. Au fond, posé contre la paroi, son dessin mural en trois dimensions ressemble à une scène de théâtre. Il est fait de papier coupé et collé sur lequel le décor d’un paysage interprété apparaît à la mine graphite. Sur la paroi de gauche, la paire d’oreilles factices est fixée au mur à l’aide d’une légère ossature de métal qui la présente en suspension, en interrogation, à l’écoute.
Sur le côté droit, l’artiste dépose au sol un tissu, qu’elle a tricoté avec un fil d’inox, laminé à sa demande ultra fin, qu’elle souhaite garder plié, comme un linge aux pouvoirs sacrés, entrelacé par le savoir, cette fameuse Connaissance. Peut-être la robe, qui aurait possédé certains pouvoirs, offerte à Harmonie, fille d’Arès lui-même fils de Zeus, tissée « depuis la nuit des temps » par les trois Charités, Euphrosyne, Thalie et Aglaé, les trois Grâces chez les Romains. Attention aux pouvoirs sacrés, que l’artiste propose de réserver dans cette cage aux formes rondes fixée sur la paroi de droite, lorsque nous n’avons pas la « mode d’emploi » pour les utiliser ! Pour finaliser sa présentation, l’artiste installe au milieu du plateau, telle une Pythie [1] sur son trépied, la statue, qui semble si fragile, sculptée en fragments de papier de riz japonais, léger comme l’air, arms de quelques fines tiges de métal, tout comme le nuage qui lui sert d’assise, afin d’observer à travers sa lunette magique aussi bien l’humanité qui se débat pour vivre, et d’admirer l’autre côté de la rue l’église Saint-Séverin avec sa superbe façade recomposée (13e et 14e siècles) qui se reflète et s’intègre, grâce à la vitre, dans « La statue aux yeux ouverts pour mieux entendre ». Plus loin à l’intérieur, dans son déambulatoire, une représentation presque parfaite de l’intelligence humaine sculptée en pierre et figurée, ici, par cette colonne torsadée appelée communément le « pilier palmier » : une élévation dynamique des multiples nervures de la colonne vers les voûtes rayonnantes, telle une image céleste.
L’artiste, qui ne joue pas à l’oracle, nous invite sans doute à tendre notre esprit pour mieux apprendre à regarder avec ses mains, et toucher avec ses yeux. N’oublions pas les nombreux acteurs-visionnaires-scientifiques qui chamboulent régulièrement le petit monde des humains.La mise-en-espace proposée par Maria Loizidou n’est pas sans évoquer son atelier à Nicosie mais aussi le « studiolo » [2] de l’illustrissime savant polonais, chanoine, médecin et astronome Nicolas Copernic (1473-1543) qui démontre par l’observation et l’écoute que notre Terre n’était pas le centre de l’Univers mais que nous tournons, petite planète Terre, seulement autour du soleil. Rassurez-vous, cette révolution copernicienne n’a pas eu d’effets négatifs sur la Création, quelle que soit la matière mise en éveil, et Maria Loizidou le sait et le démontre avec « La statue aux yeux ouverts pour mieux apprendre ».
Yves Sabourin