L’exposition de 1993 consistait à loger dans une cage vitrée en forme de tortue (en Chine, sa carapace est une allégorie du monde et l’animal est censé connaître tous les secrets de l’univers) des petits êtres vivants tels des serpents, araignées, lézards, scorpions, mille-pattes, scolopendres, cafards, etc.
« Ces petits ’citoyens’ devaient mener une vie à la fois commune et libre, entre espèces amies et espèces ennemies, durant toute la durée de l’exposition. Ils seraient abreuvés régulièrement (mais non nourris), vivraient et évolueraient librement. Toute l’installation consistait à symboliquement démontrer la chaîne alimentaire suivant la loi de la force. Des uns plus agressifs que d’autres et les faibles devenant naturellement la nourriture des plus forts. Il s’agissait de réaliser in situ et in vivo le parallèle de l’homme et de l’animal, lequel parallèle n’est pas très flatteur pour l’espèce humaine [1] ».
Ce conte philosophique visuel appelait à l’harmonie entre les cultures, les religions, les peuples alors que les faits montrent une réalité contraire faite de violences et de guerres et le cortège d’horreurs que l’on sait.
Cette œuvre fut interdite en 1994par décision de justice à la demande d’associations de défense des animaux. Mais l’artiste refusa de retirer son œuvre et laissa son vivarium vide à Beaubourg, en se contentant de présenter son concept à l’aide d’une affiche.
Vingt ans plus tard, dans un contexte tout autre, l’œuvre réactualisée attire les visiteurs ainsi que les médias, alors que, initialement, ces derniers n’avaient pas prêté intérêt à la posture de l’artiste.
Sans perdre sa force, en 2013, la splendide œuvre de Huang Yong Ping avait une fraicheur inouïe et toujours la même force, tandis que l’on pouvait se demander comment les familles en visite la recevaient réellement : un conte ou un divertissement, un zoo en miniature ?
La forme du vivarium avait changé : une forme de serpent, tout en verre, et non plus une tortue. On peut y voir une continuité avec les œuvres récentes de l’artiste et notamment le grand « Serpent d’océan », sculpture pérenne venu s’échouer à l’entrée de l’estuaire de la Loire (Saint-Brévin) sous la forme du squelette d’un animal mythologique : Huang Yong Ping aborde, là-bas, les questions de l’hybridité culturelle entre Orient et Occident, tout en dénonçant la faible implication environnementale de notre monde.
En intitulant son œuvre « Ceinture », l’artiste suggère peut-être d’orienter l’interprétation, non pas du côté des codes vestimentaires, mais bien plus vers un monde en crise économique qui impose de « se serrer la ceinture ».
Dans cet immense boyau de verre, un petit tuyau y était inséré et était réservé aux tarentules risquant de manger les autres, 1200 animaux rampants ou volants appartenant à une trentaine d’espèces, gardiennés non par des agents de sécurité habituels mais par des spécialistes d’une société seule capable de nourrir cette faune !
Mais, les surprises de 2013 venaient d’ailleurs :
– le contraste était énorme entre les animaux qui, individuellement, faisaient peur alors que leur comportement collectif était somme toute très pacifique ; il nous était donné à voir une sorte d’Éden peuplé d’êtres aussi heurtants que dans le film « Freaks »
– le comportement du public et sa fascination pour cet univers animal, qui n’était autre que la transposition de notre monde quotidien, surprenaient : les visiteurs attendaient que se produise un événement déclencheur de la catastrophe où l’un des représentants des espèces viendrait à dévorer un autre. La foule intérieure ne bougeait pas, la queue s’étirait dehors, à l’image même de « Ceinture » ! Les spectateurs en position de voyeurs ne voyaient pas que le verre transparent était plutôt un miroir entre espèces : les hommes en file disciplinée /les animaux en sage cohorte et affairés le long des parois de verre glissantes. Tout était inversé, comme dans Alice.
Cette œuvre rendait palpable l’attente sadique de l’homme, dans une scène du théâtre de la violence qui n’arrivait pas à éclater. Présence/absence du thème du conflit. C’était somme toute une pièce banale sans histoire, du Beckett et non du Shakespeare ou du Sophocle. Mais elle fonctionnait parfaitement dès que l’on prenait de la distance [2].
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Alors pouvait-on être déçu par ces comportements de voyeur ? Non, plutôt heureux d’avoir vu une œuvre qui invitait à penser et laissait espérer que chacun prendrait conscience de ce qu’il avait vu pour le dire…
[**Nuit Blanche 2013 : Lire aussi sur le site Voir et Dire*]
- Nuit Blanche 2013 dans des édifices religieux de Paris
- Pascale Peyret, Anamorphose (les misères). Le grand évènement à Saint-Merry