Les dessins suspendus

La Mare, 2021, © de l’artiste et galleria MLF, Bruxelles.

Est-on d’abord attiré par l’étrangeté de l’image créée par l’Italien Sergio Brevario (1974) ou par l’indéfinissable lumière que la douceur du modelé renforce encore ?

L’image est très déconcertante : l’association d’un visage et de son « double inversé » qui, à la façon d‘un masque, s’accole à l’arrière du crâne du premier en usant d’une « perspective dépravée ».
Comme si à l’esthétique réaliste de l’un, répondaient sur fond d’idéalisation, les ruses de l’art et son pouvoir à pointer l’illusion. On pourrait y lire l’héritage du mouvement de la peinture cultivée qui, dans les années 1980, avait fleuri dans la péninsule à la suite de la réunion de deux approches, la post-modernité et le maniérisme du XVIe siècle, redécouvert. C’est la technique utilisée qui est à l’origine de cette étrangeté. Elle évoque une familiarité avec l’art bien plus ancien, des Primitifs flamands, des Siennois et des Florentins du Quattrocento, en fait son œuvre est un regard puissant porté sur un passé « élargi ».

Sergio Brevario vit et travaille aujourd’hui à Milan et son fameux musée Brera, mais c’est à Bergame qu’il a grandi et appris l’art de dessiner avec, dans les yeux, les œuvres de son plus grand peintre, Lorenzo Lotto (1480-1556). Or, ce peintre phare du XVIe siècle et grand portraitiste, entremêle comme lui et avec raffinement, les influences vénitiennes et nordiques.

Dans ses grandes compositions religieuses, comme dans les feuilles de Brevario, on trouve aussi, sur fond de lumière vibrante, des figures angéliques androgynes ainsi que des détails incongrus, le tout travaillé picturalement afin de produire la sensation d’un trouble indistinct qui rejette, comme dans le dessin de Bravo, l’œuvre hors du temps et du monde réel.

Pour obtenir cet effet, l’artiste contemporain a élaboré une technique complexe. Il opte d’abord pour un support particulier, une feuille de polyester qui, comme le papier calque, est translucide.
Ensuite, Brevario use d’une ruse qui consiste à présenter ce support dans une boîte au fond de laquelle il fixe un miroir qui demeurera dissimulé au spectateur. Du coup, la lumière, du jour, traverse doublement l’œuvre en lui conférant une apparence quasi religieuse.
Alors, sur cette insaisissable profondeur, il travaille avec une très fine mine de graphite et peaufine les détails avec un outil extrêmement exigeant, la pointe d’argent. Une technique qui donne au tracé une précision d’orfèvre et qu’on apprécie entre autres dans les dessins de Van Eyck, Dürer ou encore Leonard de Vinci.

Enfin, il présente son dessin suspendu à l’extrémité tronquée d’une pyramide visuelle (allusion à la divine perspective). L’œuvre s’offre à la hauteur des yeux, au milieu de l’espace de la galerie, à la façon d’un écran d’ordinateur afin, peut-être, d’attirer les yeux du visiteur et surtout, de le retenir…
Guy Gilsoul

Sans titre, 2021. C de l’artiste et Galleria MLF Bruxelles.

Bruxelles, MLF Galleria. 13rue Saint-Georges (1050). Jusqu’au 16 décembre. Du mardi au samedi de 10h à 18h. www.galleriamlf.com