Si ce lieu est ouvert de 15 à 22 heures, l’atmosphère est bien différente la nuit et le jour, comme l’est d’ailleurs le ciel.
Les pieds dans les nuages
Le ciel est tellement présent autour de nous qu’on ne le voit plus vraiment, on prend de ses nouvelles bien sûr pour savoir comment se déplacer, s’habiller, mais on ne le considère pas. Et pourtant il est là, et je suis toujours surprise de la respiration, de l’espace intérieur qu’il nous donne quand on peut le voir d’un horizon à l’autre. Je voulais savoir si les sensations que l’on éprouve devant le ciel, devant les ciels, ont une correspondance intérieure pour tout le monde, j’étais curieuse de savoir à quels moments les gens pouvaient ressentir cela, ce qu’ils en faisaient. C’était pour moi tenter de saisir la poésie de chacun, et la rendre visible. Le ciel serait alors cet espace que nous avons en commun, entre nous, qui à la fois nous distingue et nous relie. Chaque réponse à la question apporte une couleur, une ouverture différente du ciel et l’ensemble de ces réponses constitue une mosaïque sans fin. (Sophie Fourestier )
Il est ainsi proposé une « déambulation » dans l’espace de l’église, puisque tel est le sous-titre de cette manifestation, dans une atmosphère qui n’est pas sans rappeler un peu celle de l’Arsenale lors des Biennales d’art contemporain de Venise : des œuvres très actuelles, des médium divers suscitant l’émotion ou la réflexion dans un cadre à forte valeur patrimoniale. Il s’agit de parler du ciel d’aujourd’hui en dehors du champ religieux, alors que des tableaux, des vitraux et des sculptures qui du XVIIe au XIXe ne cessent de parler de cet élément pour des besoins métaphoriques religieux et spirituels. Deux représentations du terme se juxtaposent sans se heurter.
Les colonnes du ciel
L’appropriation du bâtiment par des hommes de sciences et la disposition des œuvres en place de l’iconographie religieuse traditionnelle atteste une liberté certaine et ouvre un débat sur la capacité des églises à accueillir de nouvelles symboliques et représentations de l’univers matériel.
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Où commencent les images et les vidéos de l’événement…
Vous l’aurez remarqué, l’intitulé de l’événement n’a pas de point d’interrogation ; on peut alors interpréter ce titre comme la désignation d’un seuil artistique, inscrit dans un bâtiment église.
Tout commence ainsi par une invitation : deux ronds bleus sur le sol
Les pieds dans les nuages (Mise en image Ikse Maître). Le ciel de Paris n’est plus en l’air, mais sur le sol même de Saint-Merry. On baisse la tête pour voir deux projections vidéo sur du sable blanc au milieu de la nef. Les nuages passent, le blanc et le bleu se mélangent, se marient.
Cette œuvre fonctionne remarquablement et tout le monde y accède immédiatement. Tentons une analyse.
Tout d’abord la surprise, deux grandes taches bleues au milieu de la nef, là où tout le monde passe. Leur dimension est en accord avec celle de l’église. C’est du monumental accessible, autour duquel on peut tourner, dans lequel on peut entrer. La lumière inonde la nef par deux faisceaux simples et bien dessinés dans l’espace, sur toute la hauteur.
Bleu : c’est devenu progressivement la couleur d’un universel inconscient (cf. la symbolique des drapeaux, comme celui de l’Europe ou le beau livre de Michel Pastoureau sur l’histoire du bleu).
Avec le mouvement lent des nuages que l’on découvre, la curiosité est immédiatement satisfaite.
Le familier est ici perturbé par le changement d’orientation du regard : on baisse les yeux pour voir les nuages. La poésie est accessible : le ciel lieu propice au rêve est à portée de la main, il suffit de se pencher pour que les nuages passent par des mains remplies de sable.
La lumière venant du plafond met le visiteur en pleine lumière, il devient artiste de ces moments, il peut jouer sans risque le rôle d’une star d’un instant si cela est son fantasme. Peu importe ce qu’il pense, en y entrant il opère une sorte de transfiguration de son quotidien : c’est visible à son visage.
Le ludique et le sérieux se conjuguent immédiatement. Et chacun fait de ces disques un théâtre imaginaire, seul, à deux ou à plusieurs. L’œuvre offre au spectateur une interactivité avec une technologie minimale, un flux de lumière vidéo. N’a-t-on pas vu un défilé de mariage le traverser, après avoir tracé un chemin en son milieu avec un balai. Cette œuvre est donc malléable par chacun dans les faits et les têtes.
Elle est facilement photographiable, elle se transforme en souvenir ; elle devient événement car on en parlera nécessairement à des amis, à de la famille. Elle peut être le lieu de la manifestation affective, on peut s’y serrer, s’y enlacer. Deviendrait-elle une carte de visite d’un imaginaire lié au lieu ?
On oublie qu’elle est contemporaine, alors qu’en d’autres lieux bien d’autres œuvres suscitent des émotions fortes ou subtiles d’un type analogue si l’on sait y entrer. Car c’est bien l’essence, voire son succès : tout le monde peut y entrer ou la traverser.
Chacun, quelle que soit sa culture, se l’approprie dans l’émotion et la laisse aux autres globalement dans le même état, en y laissant les traces de ses pas. L’œuvre est ainsi une sorte de bien public qui créé du lien, parce qu’on l’a partagée. Elle crée un seuil d’entrée dans l’église Saint-Merry, elle ouvre l’imaginaire de la visite, de la déambulation dans cette église.
Et quand eurent lieu les concerts du 24 septembre, l’ouïe et le regard s’accordèrent pour redoubler l’émotion.
Extrait du Prélude à l’après midi d’un faune de Claude Debussy (ensemble musical Le Balcon)
Vidéo sonorisée de 1’09
Si vous avez aimé, téléchargez un extrait du requiem de Luzifer (Samedi) de Karl Heinz Stockhausen (ensemble musical Le Balcon) - Durée 1’30
Blanc/jour. Lorsque le soleil est plus fort que le bleu de la vidéo, les disques de sable blanc sont en écho avec la blancheur de la pierre. De nouveaux autels au raz du sol ?
Les regards du ciel (Paroles personnelles, uniques, immédiates recueillies par Sophie Forestier dans de multiples entretiens préalables comme Les colonnes du ciel d’ailleurs) est une suite de textes relevant du théâtre et dits sur le mode de l’intimité, car il faut entrer, seul ou à deux au plus, dans des cylindres translucides. Ces tubes blancs (à gauche ci-dessous) créent une sorte d’abri originaire dans le lieu de passage qu’est le déambulatoire.
S’asseoir et regarder le ciel (photos de Fabien Breuvart, qui est un militant du rapport au public et de causes politiques comme la dignité des étrangers) agit en contrepoint : des tubes noirs (à droite ci-dessus) n’ayant que des photos, dans l’autre partie du déambulatoire. Une métaphore de la complémentarité du ciel la nuit et du ciel de jour ?
Des regards du ciel (Paroles recueillies par Sophie Forestier dans de multiples entretiens préalables) fonctionne sur un mode analogue aux arbres de vœux que l’on peut trouver en Asie ou encore de l’olivier de paix de Yoko Ono artiste majeure du mouvement Fluxus. De courts textes flottent en l’air. Ils sont autonomes et tournent au gré des courants d’air provoqués par les visiteurs qui s’en approchent ou s’y immergent. Des sortes d’haïkus japonais du fait de leur poésie visuelle.
Le ciel objectivé (Parcours de la Théorie des champs d’Alain Laverne) est un clin d’œil de scientifiques qui voient souvent dans les découvertes de véritables œuvres. Il y a du charme dans l’écriture appliquée de ces équations qui peuvent rappeler bien des souvenirs à certains visiteurs. Ce mystère de la matière calligraphié dans des équations et des dessins tient de l’art conceptuel des années 70 ! Le passant n’y comprend rien, mais l’intention/démonstration trouve sa forme.
L’abstraction des raisonnements est ainsi étalée sur les murs d’une chapelle latérale ou se transforme en vitrail. Une psalmodie de la science ? La science mis au même rang que les figurations des saints ?
Cette liberté est formellement heureuse et à l’opposé de la Chapelle de Wim Delvoye qui utilise aussi la science et les rayons X mais pour faire une vanité grinçante, athée et gothique
Les ouvriers du ciel (reportage photographique de Gilles Codina) sont des photos qui témoignent de ces personnes qui n’ont pas le vertige et travaillent sur les toits, dans les grues. Bel exercice artistique à mi chemin du documentaire et de la poésie réaliste ! Mais, il est mal présenté et mis un peu en pénitence dans un coin de l’église. Dommage.
Entendu et vu lors de l’inauguration de l’exposition Ciel
Vu à côté du ciel, rue des Gravilliers