« Le présent me dégoûte et le futur me fait peur. » Fille d’Alphonse Peyrat, un journaliste révolutionnaire sans le sou qu’on dirait aujourd’hui d’extrême gauche, Marie fut marquée au fer rouge par ces années d’enfance et d’adolescence parisiennes. Et c’est bien lors d‘une des réunions politiques organisées par son père qu’un Italien de haute souche, Giammartino Visconti rencontra la jeune rebelle dont il tomba éperdument amoureux.
Bref, après bien des péripéties, Victor Hugo fut appelé comme témoin de leur union célébrée en 1873. Le conte de fée devenait réalité, la pauvresse devenait riche. L’homme possédait en effet pas moins de 991 domaines dont un château au bord du lac de Côme et un autre, en ruine située à quelques encablures de Bruxelles, le château de Gaasbeek, une forteresse datant du XIIIe siècle. Mais trois ans plus tard, la mort emporte Giammartino.
La vie de Marie Arconati Visconti bascule : « Je suis restée la fille de mon père. Je voulais parler de politique, d’histoire et d’art. » Désormais, elle accueille, entre autres à Gaasbeek où elle se rend chaque automne, les meilleurs esprits, les artistes, les poètes, les musiciens et les comédiens. Car elle aime autant le théâtre que l’Histoire, passant de la rigueur de l’une à la fantaisie de l’autre, se déguisant en Sarah Bernard un jour, en page de la Renaissance un autre. L‘Histoire en effet la passionne, mais elle la vit, s’entourant d’œuvres, d’objets précieux et de manuscrits rarissimes qu’elle acquiert au fil des ans. 7.000 titres recensés.
« Pour comprendre une époque, il faut parfois revêtir les tenues coutumières de ces temps anciens. C’est le prix à payer pour comprendre comment les gens bougeaient, grelottaient de froid, ressentaient du confort ou de l’inconfort. Et n‘est-ce pas merveilleux de se déguiser et de jouer le rôle de quelqu’un d’autre ? » Et l’angle se resserre, car elle s’imprègne de l’Histoire du château et rejoint ses illustres habitants dont elle sent la présence en ses murs. En réalité, elle les convoque et dispose leur effigie peinte ou sculptée en différents endroits du château. Et ses rêves peuvent s’incarner le jour où elle rencontre l’architecte décorateur Charles-Albert qui va, dans les dernières années du XIXe, transformer et grandir les espaces pour en faire une bâtisse longue et imposante.
Mêlant le Moyen-âge à la Renaissance, une suite de couloirs, d’escaliers, de multiples salons et autant de chambres dont il assume aussi la décoration. : « Les conversations que j’ai eues ici avec mes amis, écrivait Marie Arconati Visconti, il m‘arrive de penser qu’on entend encore leur écho. Lorsque le beau temps était au rendez-vous, nous poursuivions nos discussions dans les allées bordées de hêtres en pleine gloire automnale. Puis, nous imaginions que nous venions d’atterrir au pays des merveilles… »
Aujourd’hui s’ouvre une nouvelle page. Il a fallu pas moins de trois ans aux restaurateurs et décorateurs pour faire revivre l’esprit de la demeure devenue depuis 100 ans, propriété de la Belgique. Soit, dans autant d’écrins, l’esprit rebelle autant que fantasque de l’illustre propriétaire en une suite de scénographies mises en musique dans lesquelles interviennent çà et là, des oeuvres d’artistes actuels comme Philippe Aguirre y Ortegui, Sophie Whettnall, Kendell Geers ou encore Cindy Wright et Erwin Olaf. Ce dernier par exemple propose plusieurs grandes photographies dont une reproduit, mais à sa manière glacée et intrigante, une scène historique peinte en 1851 par le peintre romantique belge, Louis Gallait (dont un copie faisait partie de la collection de la marquise Arconati Visconti) illustrant un moment fort de l’histoire de Bruxelles, la mise à mort par décapitation des comtes d’Egmont (qui habitait le château) et de Hornes, rebelles au pouvoir catholique de l‘occupant espagnol Philippe II.
Le parcours, extrêmement troublant, mêle en effet les différentes temporalités tout en les ramenant aux questionnements qui demeurent, évidemment, d’une actualité brûlante…
Guy Gilsoul
Château de Gaasbeek, Kasteelstraat 40 à 1750 Lennik (8 km de Bruxelles). Tous les jours sauf lundi de 10h à 18h. L’exposition dure jusqu’au 2 novembre. www.https://asteelvangaasbeek.be