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Bridget Polk. Balance



Une œuvre de pierres, une performance, la recherche de l’équilibre.

La Fondation d’art contemporain, Lafayette Anticipations, a invité Bridget Polk, dans le cadre d’une exposition collective « Coming soon ». L’artiste a réalisé au 3eme étage une performance discontinue, « Balance », reproduite durant plusieurs mois, jusqu’en mai 2024. Née en 1960, elle vit et travaille à Portland, mais est appelée dans les institutions du monde entier.
Son art qui s’exerce devant le public, et non en atelier, peut être rattaché au « rock balancing » (équilibrage des pierres), que certains pratiquent en plein air (communion avec la nature et développement personnel), consistant à empiler des pierres en équilibre, sans colle. Les réseaux sociaux sont truffés de telles œuvres nécessitant de la concentration, mais réalisables par tous.

Bridget Polk, une harmonie pour des pierres rejetées

Bridget Polk en a fait une pratique artistique en mélangeant roche naturelle, matériaux de construction et déchets architecturaux. Dans un silence partagé avec les visiteurs, elle crée des paysages défiant la gravité.

Elle doit d’abord trouver le point d’équilibre entre les pierres, qui leur permettra de rester empilées quelques jours, quelques minutes ou quelques semaines, avant de s’effondrer. Son univers, un ensemble de sculptures et non une œuvre particulière isolée, tient de la ruine, belle dans sa rugosité, et de la formation naturelle. Son art de la maîtrise se transforme en silence haletant chez le spectateur.

Allégorie de la construction et de la chute des civilisations, ce n’est pas la pierre rejetée qui est le vrai sujet, mais l’obtention et la durée d’un équilibre en jeu. La vibration du bâtiment, notamment le passage des spectateurs même précautionneux, provoque le déséquilibre et tout s’écroule. Le spectateur est responsable, malgré lui, de la destruction de ce qu’il admire ; l’association aux questionnements de l’écologie se fait aisément.
Au-delà, ces œuvres nous représentent individuellement et collectivement.

https://player.vimeo.com/video/925317534?title=0&byline=0&portrait=0

https://vimeo.com/925317534

Voir notamment les dernières minutes de la performance

Bridget Polk/Brancusi

Il était possible de questionner cette œuvre à partir d’autres, situées à quelques centaines de mètres dans l’exposition Brancusi du Centre Pompidou.

Comme chez Bridget Polk, il y a des empilements et des socles. Mais chez Brancusi, tout part du matériau, non pas pour sa forme déjà donnée lors de la collecte (il n’a pas d’intérêt pour le rejeté), mais pour les qualités de la matière qu’il choisit et qu’il va ensuite exploiter. Ainsi, le travail à partir des veines du marbre ou par le polissage crée une relation intime où la lumière joue un grand rôle. Perméable aux philosophies extrême-orientales, Brancusi affirmait que la sculpture devait avoir une fonction spirituelle. Sa valeur ne réside pas dans l’apparence mais dans un principe fondateur caché dans la matière que l’artiste doit révéler. Les enjeux de contemporanéité et de modernité lui étaient totalement étrangers. Son désir était de créer une œuvre à la fois familière et insituable, universelle et intemporelle.

La série des Négresses, blanches (plâtre ou marbre) ou blondes (bronze poli) des années 20-30, est caractéristique de sa démarche. Comptant parmi les sculpteurs européens les plus influencés par l’art africain, il a créé cette série à la suite d’une visite à l’Exposition coloniale de 1922 où il a observé une femme probablement d’origine africaine. Il a abordé la sculpture de ce sujet anonyme comme une suite de volumes épurés assemblés les uns sur les autres, en reprenant des stéréotypes : un volume allongé avec seulement des lèvres et des cheveux, un chignon simple, un cou.

La pierre, le minéral comme ressource de spiritualité

Si Bridget Polk « adopte » des matériaux ayant déjà une forme, délaissés sur les chantiers, Brancusi « engendre » une forme première, en partant des profondeurs de la matière. Si la première redonne de la valeur à des éléments décatis en les mettant en relation, en équilibre précaire -son principe de sculptrice-, le second fait naître des éléments déjà dotés d’une perfection qu’il rassemble dans une vision d’élévation du sujet, parfois l’envol, une de ses obsessions.
Elle ne donne pas de nom à ce qu’elle trouve dans la rue, c’est le titre de l’exposition, donc celui du collectif, qui les rassemble, la série est courte et spatiale. Brancusi inscrit chaque création individuelle dans la culture, d’où un nom. La série d’éléments semblables se fait sur une longue durée, c’est seulement lorsqu’ils sont exposés qu’ils font groupe.
L’une et l’autre sont mus par des spiritualités différentes. La première est proche de la pierre délaissée, le second proche de la pierre angulaire sur laquelle s’est construite une nouvelle modernité en sculpture.

Jean Deuzèmes


Lafayette Anticipations – Fondation Galeries Lafayette
9, rue du Plâtre F-75004 Paris. Entrée gratuite
Performance du mercredi au dimanche de 16h30 à 18h30, jusqu’au 12 mai.

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