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Comment est né ce projet « Les deux chemins de croix » ?
Le projet de ces deux chemins de croix est né d’une rencontre et d’une découverte.
La rencontre avec un ami, dont j’ignorais les liens avec le CPHB, et la découverte d’un lieu, l’Eglise Saint-Merry.
En décembre 2009 lors d’une exposition photographique de paysages en mouvement depuis le TGV intitulée « Travelling » que je présentais, cet ami m’a parlé du réseau Voir et Dire de l’Eglise Saint-Merry, et de l’importante activité artistique qui s’y déroule.
Je lui ai alors fait part de deux projets photographiques qui me tenaient à cœur :
– L’un déjà réalisé : Le Christ au Désert – il s’agit d’un travail photographique effectué à Moscou sur un tableau du peintre Ivan Kramskoï datant de 1872, présentant le double regard du Christ et des visiteurs du musée et monté sous forme de vidéo.
– L’autre en cours : un travail photographique sur une mise en mouvement de Christs en croix découverts dans différentes églises, le premier à l’origine de cette série étant situé à l’Eglise des Batignolles, accompagné d’un texte de Verlaine.Cet ami, intéressé par ces démarches m’a proposé de visiter l’Eglise Saint-Merry pour prendre connaissance du lieu et des projets artistiques exposés et en cours de réalisation.
Lors de cette première visite, j’ai été frappé par la présence d’un chemin de croix en émail, riche en couleurs, installé sur les piliers de la nef. J’ai remarqué que trois des quatorze stations étaient manquantes, les VIII, XI et XII, correspondant à la rencontre de Jésus avec les femmes de Jérusalem, la crucifixion et la mort sur la croix.
J’ai également remarqué que les visiteurs ne portaient pas attention à ce chemin de croix. J’ai donc eu l’idée et l’envie de réaliser un travail photographique à partir de ces émaux pour les mettre en valeur et créer un dialogue avec ces scènes religieuses qui relèvent d’une imagerie populaire mais dont la force iconographique est très présente.
Techniquement, comment avez-vous réalisé ce projet ?
Ce travail s’inscrit dans ma démarche photographique. Je travaille sur le mouvement et le déplacement dans leurs rapports à l’espace et au temps.
Pour chaque station, j’ai réalisé les prises de vues en mouvement en me focalisant sur des fragments d’images des émaux. J’ai choisi ces fragments en fonction de leurs significations par rapport à chaque scène.Pour les stations dérobées, j’ai souhaité laisser présent le manque afin que ces scènes absentes de toute représentation fassent appel à l’imaginaire et à la prière pour les croyants. Je me suis contenté de photographier les chiffres romains de ces trois stations.
Ces prises de vues ont été faites fin décembre dans le froid et avec peu de lumière, sur la pointe des pieds, bras levés. Les émaux du chemin de croix datant de 1867 sont installés à plus de deux mètres de haut. J’ai voulu et ressenti un effort physique, une difficulté en terme de déplacement de parcours et de recherche d’équilibre lors des prises de vue qui m’ont semblé avoir du sens par rapport à ce thème.
Comment le projet a-t-il évolué avec ce que vous avez découvert de ce bâtiment église ?
Le projet a ensuite évolué et s’est construit par rapport à l’œuvre d’origine et par rapport au lieu. Dans un premier temps j’ai choisi le format et la taille des tirages. Très vite il m’est apparu évident que le format devait être carré en écho aux émaux dont la géométrie et les proportions s’inscrivent dans ce cadre. Quant à la dimension choisie pour l’image, 22 cm de côté, là encore elle correspond à celle des émaux.
Enfin pour l’encadrement, j’ai choisi un cadre en chêne de section carré, le plus simple et sobre possible, dont la teinte foncée répondait aux couleurs des boiseries de l’Eglise. Puis s’est posé la question de l’installation de ce nouveau chemin de croix et du lieu pour l’accrochage. Là encore, la réponse a été de l’ordre de l’évidence. J’ai proposé de combler le manque sur les piliers où les émaux avaient été volés.
Les quatorze nouvelles stations ont donc naturellement pris place sur les colonnes VIII, XI et XII.
Il y a ainsi un chemin de croix initial et un autre qui s’insère dans les parties manquantes. D’où le titre de mon travail : LES DEUX CHEMINS DE CROIX, 1867 - 2010
La dernière évolution du projet s’est faite après avoir montré le nouveau chemin de croix à une amie muséographe, Martine Thomas-Bourgneuf, qui m’a fait remarquer à quel point les images religieuses restaient lisibles même après avoir été fragmentées et transformées.
J’ai donc décidé de pixelliser mes images pour aller jusqu’à la limite de la lisibilité pour une vision de près, tout en gardant dans une vue lointaine une juste perception des scènes pour chaque station. Ce traitement permet d’avoir ainsi une perception en mouvement qui varie suivant la distance du visiteur au chemin de croix, en jouant sur des effets où peuvent alterner visible et invisible.
Enfin, l’accrochage m’a permis de faire une belle rencontre avec Thomas Monnier, résident à Saint-Merry. Grâce à lui l’installation a pu être réalisée dans de bonnes conditions, l’intervention dans un bâtiment classé monument historique étant sujette à de nombreuses contraintes.
Nous avons, ensemble, décidé de réutiliser les porte-croix du XIX ème siècle pour couronner les supports des cadres et ainsi relier les deux chemins de croix par un élément commun et symbolique.
Un artiste avec d’autres artistes fréquentant ou travaillant à Saint-Merry, au contact des visiteurs : quelles sont vos découvertes ou réflexions ?
Les découvertes sont plurielles et d’une grande richesse, découvertes liées à un lieu sacré et riche d’histoire, découvertes humaines et artistiques.
Ma formation d’architecte tient sûrement une part importante dans l’intérêt que je porte à l’image, à l’espace et aux lieux.Je suis intimement convaincu que le lieu et plus précisément l’esprit du lieu, avec à Saint-Merry la dimension du sacré qui l’anime, joue un rôle sur l’esprit et sur les créations qui y naissent.
J’ai ainsi fait une rencontre artistique avec Hugo Bonamin, peintre en résidence à Saint-Merry.
Je suis très sensible à son travail pictural en mouvement, ses grands portraits ont une présence et une force qui me touchent.
Il a accepté que je l’accompagne pendant deux jours pour réaliser des images de son travail de peinture. Cette rencontre passionnante, le croisement de nos travaux respectifs et de nos échanges a pu avoir lieu grâce à ce lieu qui nous a rapproché.
( V&D. 11-03-2010)