Iris Millot a ouvert avec Hélène les archives de cette grand-tante, une ancienne du MLF qui à 77 ans vit seule au Mont Lion, loin de tout. La jeune photographe adopte le langage d’une sorte d’archéologie des relations humaines, mais d’un monde qui existe encore. La militante des années 2020 fait ressurgir la joie des engagements des années 60 et 70. Un arrêt sur une rencontre, sur un passé qui ne tait pas sa rudesse, des émotions différentes de l’urbain individualiste et des illusions perdues du progrès qu’exprime Annie Ernaux.
Après un éloignement de 12 ans, Iris Millot revient auprès de sa grand-tante, vivant depuis 40 ans sur les terres familiales des Alpes Maritimes, « à 7 km de sa boîte aux lettres, aller et retour ». Elle ouvre les placards et valises à souvenirs de cette militante du MLF, qui faisait de ce lieu un espace de rencontres, de réflexion, de fêtes ponctuées par les travaux des champs.
Ci-dessus le sourire de cette femme et son agneau est probablement celui d’Hélène. Cette main isolée est certainement la sienne. Deux photos, deux détails des corps, des clichés qui n’ont rien à voir avec ceux des musées d’art et traditions populaires.
La tante Hélène continue encore à couper son bois, à s’occuper de son jardin proche et entretient désormais plus de relations avec les animaux des bois qu’avec les humains, tant le territoire s’est vidé. Hélène est réaliste, « Quel chaos et quel désert ma vie ! », sa solitude est d’un grand coût social et économique, la photographe, très pudique, en témoigne avec respect et tendresse.
Le style d’Iris Millot ne tient pas du documentaire ou de la nostalgie. Elle découpe par la photo le réel présent pétri de solitude : des mains, des dos, des objets non cadrés de la ferme, des photos anciennes, etc.
C’est l’inventaire d’une existence qui a participé à une utopie devenue pour partie réalité, la liberté des femmes. Mais des traces de moment de jouissance vitale, il ne reste que celles gardées, volontairement ou fortuitement, par une quasi-ermite qui ne plante plus, la ressource en eau venant à manquer.
L’artiste assemble le tout avec des textes manuscrits provenant des carnets de notes d’Hélène, auxquels elle associe les siens à la manière de l’aïeule, ce « personnage de conte, gardienne de récits qu’il est important de préserver, de transmettre ».
Les formats sont les plus divers tels des morceaux de vie où les traces du passé et les instruments de la ferme qui ne sont plus utilisés côtoient ce qui exprime la manière d’être en relation aujourd’hui.
Les liens textes/photos opèrent très différemment de l’exposition qui se déploie au-dessus, parce que les autrices sont différentes. Hélène n’est pas une écrivaine, elle porte autrement son empathie et laisse transparaitre ses racines et sa mémoire terrienne. Ici, les photos sont chaleureuses et sont liées les unes les autres par l’identité du lieu, par la mémoire attachée et échangée entre deux femmes. La ville nouvelle et la modernité analysée au scalpel par Annie Ernaux appartiennent à une autre planète.
Une exposition pleine de soleil à l’embranchement entre deux manières de faire de la photo, entre le studio de la MEP et les étages des artistes connus de longue date.
Jean Deuzèmes