Quelle que soit la porte par laquelle on entre dans cette église, ils surgissent et constituent une forêt de pierre aux trois traits majeurs : la couleur, la hauteur, la régularité de leur ordonnancement. Mais de la texture du matériau, on ne perçoit rien ; rien non plus du vide entre chacun. La forme et l’émotion produite par la hauteur prennent le dessus sur le matériel et l’immatériel.
Marc Lohner a proposé de regarder autrement ces 82 fûts de pierre qui s’élèvent du sol à la voûte en donnant comme titre à son œuvre : « Achéiropoïètes », que l’on utilise pour désigner des œuvres tels le suaire de Turin, mais aussi dans quelques églises locales afin d’exprimer le caractère mystérieux de leur origine.
Parti à la recherche des traces laissées par le temps, la géologie et l’homme, il a photographié toutes les faces des blocs octogonaux de calcaire, puis il a trié et classé les images et, enfin, il les a imprimées sur cinq lés de lin semi-opaque de 12 m de hauteur et 1,5 m de large. Ces peaux photographiques se sont glissées entre les peaux de calcaire des piliers. Tout est savamment installé avec les mises en perspective et l’affirmation visuelle du transept, les tons sur tons, les transparences. Les piliers sont fixes et expriment la solidité, la permanence patrimoniale. Les lés, fragiles et éphémères, bougent légèrement aux mouvements de l’air dans l’église, à l’image des visiteurs qui y déambulent.
L’artiste donne à voir l’assemblage des blocs taillés par les artisans et révèle leur singularité. Le titre est recherché mais juste, puisque Acheiropoïètes est attribué à des images, en particulier la face du Christ ou de la Vierge Marie, apparaissant presque miraculeusement sur un support donné.
Or Marc Lohner manifeste « une très grande expressivité d’écriture et richesse de composition : apparitions de marques d’usure quasi abstraites, de formes pseudo animales ou végétales, de motifs proches du visage humain, de signes plus ou moins figuratifs du sacré, de couches successives de graffitis.[…] Marc Lohner n’a néanmoins pas tenté pour Saint-Eustache de figurer le divin, mais a souhaité révéler ce que la main du temps – ou parfois, involontairement et volontairement, celle des êtres humains – a laissé sur les murs de l’église » (Marc Donnadieu, commissaire)
Cette œuvre change d’aspect tout au long de la journée, car la lumière des vitraux dessine d’autres motifs colorés.
« L’homme peut toujours faire semblant de maîtriser la matière à l’aide d’outils ingénieux. Dans le domaine du sacré, il touche une zone qui défie justement l’homme à travers la matière. Et peut-être que le véritable travail de l’artiste serait de trouver un “geste” qui soit en harmonie avec ce défi afin de parvenir à une création qui nous transcende » déclare Marc Lohner.
Une œuvre étonnante qui saisit les visiteurs et les paroissiens et qui va de pair avec la beauté recherchée par les Oratoriens, dans leurs célébrations et leur politique culturelle, à la veille des évènements du 800e anniversaire de l’église.
Crédits photos : © Marc Lohner, Acheiropoïètes, Beaux-Arts de Paris, courtesy Rubis Mécénat, église Saint-Eustache, 2023. Photo : Instant Prod