Tous les collectionneurs d’arts ethniques connaissaient le nom d’Émile Deletaille (1929-2021). De l’Afrique à l’Océanie en passant par l’univers méso-américain et australien, il avait communiqué à son fils Charles, le sens profond de ces œuvres nées au coeur des mythes et rituels magiques. Si ce dernier poursuit aujourd’hui le travail d‘antiquaire de son père, il dirige aussi, dans la maison familiale située dans le quartier du Sablon à Bruxelles, une galerie d’art actuel au profil singulier.
On n’y trouvera pas les œuvres d’un énième créateur héritier poussif des valeurs nées au fil des années 1980. On n’y verra pas davantage de leçons de morale ni d’alertes convenues et sans doute pas davantage de propositions formalistes.
À leur place, des œuvres qui associent la dynamique poétique d’un Gaston Bachelard à la curiosité pour ce qui nous dépasse et nous éblouit. La science par exemple. Ou la spiritualité.
Sur de grands formats et avec les seuls outils du dessin, Olyia Evatsora propose de nous séduire par une éblouissante technique de la lenteur pour nous immerger et nous engloutir dans un espace infini traversé par la mouvance de nuages épais, tourbillonnant, s’enroulant les uns aux autres jusqu’aux lointains des constellations. Ils sont lourds, chargés, lumineux.
On n’est ni sous eux ni au-dessus d’eux. On s’approche sachant que, bientôt, on sera happé au risque de la disparition.
« We have finally arrived » dit le titre de l’exposition. En grisailles, parfois avec le seul recours des roses, la jeune artiste bruxelloise tisse patiemment la présence du vide au cœur de vapeurs pleines, suspendues à rien que notre fascination. Mais à l’intérieur de ce maelström gazeux, surgissent des lignes, fines et sifflantes traversant les nuages. Certaines viennent d’un arrière-pays du ciel, d’autres relient des points de lumières comme on le fait dans les représentations des constellations.
Elles désignent cependant moins une cartographie qu’une géométrie faite d’hexagones irréguliers, donc aux antipodes de l’apaisement et au plus près des menaces, des accidents, du hasard.
Parfois, une seule ligne vient se fixer au bord de la feuille. Là, précisément, en un point qui désigne le rapport du nombre d’or. Et de me souvenir de la présence de cette « divine proportion » dans la nature, les diverses cultures et plus près de nous, dans la peinture religieuse.
Ainsi, dans la petite et fascinante Piéta de Rogier Van Der Weyden conservé au musée des Beaux-Arts de Bruxelles, c’est elle qui détermine la frontière entre le terrestre, là où se trouve le Christ mort, et le ciel où le soleil rougeoie. Soit une division qui, échappant à la maîtrise de l’arithmétique raisonnante, dit, à son tour, l’infini. Un infini qui pourtant est la condition d’un équilibre vivant. De l’harmonie. Un lieu pour la spiritualité. Un lieu ennuagé.
Guy Gilsoul
Légendes :
Photos Jon Verhoeft. © de l’artiste et galerie Deletaille Bruxelles.