Le voyage débute dans le lieu d’art contemporain Aponia, inauguré pour l’occasion dans un immeuble de la Renaissance, au Monastier-sur-Gazeille en Haute-Loire. Sur deux niveaux, dans une ambiance à la fois historique et contemporaine, les œuvres ont pour trait commun une forme de mutation, technique et physique. Dès l’amorce des croquis, les formes se révèlent charnelles. Dans cette allusion au corps et à la substance… le dessin est aussi vivant que cadavérique… aussi figuratif qu’abstrait. L’abstraction se confirme d’ailleurs lorsque le dessin devient numérique. Il devient un autre corps et une autre identité.
La forme devient plus pop et graphique, colorée, parfois même urbaine… tandis que le support se froisse… se tord… ou s’affirme en négatif par la récupération de matériaux. L’image s’altère aussi à la manière d’un transfert d’émulsion de Polaroid. Elle a quelque chose d’immédiat, d’instantané et à la fois un air d’immortalité. Il y a une force et une puissance inhérente à la production même de ces grands formats qui se dégagent du mur. Cela devient encore plus poignant lorsque l’on y trouve l’émanation contemporaine d’une vanité… notre vie éphémère comme homme et comme matière.
Le travail de Baptiste Roux ne se résume pas à une œuvre que l’on accroche au mur en guise de décoration. C’est un expressionnisme à la fois figuratif et abstrait qui recèle une part de détournement et de subversion, comme ces crucifix composites mêlant, entre autres, os à ronger et mousse expansée… ou ces sculptures qui trônent délicieusement… comme autant de pâtisseries sur l’étal d’un boucher.
L’image peut paraître insolite et surréaliste. C’est pourtant l’effet remarquable qui se dégage de la “mise en scène” des œuvres dans l’église Saint-Jean du Monastier-sur-Gazeille… quoi de mieux pour une Apocalypse. Le dialogue entre le patrimoine historique et l’art contemporain s’installe dès l’entrée avec l’imposante “Chimère écorchée” (référence au motif du bœuf écorché), suspendue face à la crucifixion de l’autel à la manière d’un martyr. Des œuvres littéralement en chair et en os, tels des collages, ponctuent l’espace et l’habitent naturellement. Au premier regard, les couleurs vives, acidulées, “glossy” ou sucrées (avec une prédominance de rose)… ont un côté réconfortant et positif… gourmand comme une mousse ou une glace renversée par un enfant maladroit. Pourtant, très vite, une autre interprétation vient troubler le visiteur. Le coulis devient sang, la mousse devient chair et la glace carcasse… Les os sont saillants comme les esses du boucher. L’appétit tourne alors à l’écoeurement. L’exposition devient une autopsie féroce de l’humanité… tantôt banquet de fête… tantôt banquet funéraire. A la manière d’une vanité, d’une nature morte, ce qui prévaut au final pour le visiteur est une formidable sensation de vie…
Anna Remuzon
Vidéo d’entretien avec l’artiste
https://www.youtube.com/watch?v=wbpD9_oVm_s