Les pièces sont souvent de petit format et en noir et blanc, mais pas que, et forcent l’attention, suscitent le plaisir du regard, comme le fait tout ce qui relève de la maquette, de la vue de haut, de la miniature, du dessin d’enfant, des évocations d’un temps lointain, alors que cette œuvre, réalisée de mars 2020 à mai 2021, transpire des questions du présent, ici le confinement avec ses inquiétudes sociales et individuelles.
Entrer dans l’œuvre de Thadée, avec une fée, un jongleur, un virologue, un architecte de passage à Compiègne, etc., c’est un peu suivre un chemin à la Lewis Caroll dans un imaginaire de poésie et de science telle que celle-ci se construisait il y a 250 ans. Alice, Thaddée, des prénoms seuls pour exprimer un style, une pensée. La grande élégance, l’harmonie des ensembles découpés se mêlent à l’humour et à l’étrangeté des compositions.
• Sur le seuil. Contempler le ciel, seul. À la fin de la vie, une découverte pour les croyants.
• Le réconfort. Durant le confinement, rêver d’un café. Une mixture préparée par un ouvrier à la grande cuiller.
La jubilation face à ces collages tient aux rapprochements que Thaddée fait en toute liberté, que l’on saisit le plus souvent, mais pas toujours. Il n’y a pas de délire, mais au contraire une grande maîtrise laissant sans voix face au mystère des associations d’idées proposées.
Son œuvre possède une dimension d’autoportrait mâtinée d’expérience analytique, non pas sous forme de mots, mais de visuel. Ses créations sont très cultivées, riches de références accessibles.
Comme elle, ses petits personnages découpés travaillent de leur main, avec leur rationalité, cherchent à produire quelque chose dans un monde utopique, veulent refléter une réalité en puisant dans des forces cosmiques tout en demeurant à hauteur d’homme.
• Passage de l’éclipse. Quand le lapin blanc saute dans le cadre sur les ordres de son dompteur magicien, un passage comme celui de la lune devant le soleil.
• Nous avons reçu la visite d’un ange. Quand le silence se fait, qui le produit ? La plume de paon, signe de renouveau, une voile d’un bateau transportant nos espoirs ?
Chaque œuvre part d’une question du quotidien (le désir de prendre un café au temps du confinement), de société (trouver un vaccin contre la Covid), religieuse ou existentielle (le Ciel et après…), politique (la fuite par avion de Carlos Ghosn) ou encore personnelle (rendre hommage à des personnes qui ont compté, ses grands-mères, Bruno Latour). Cet éclectisme des sujets prend le ciel comme fond ou a rapport avec lui. Le XVIIIe pour parler du XXIe siècle.
• Les " non-humains". En écoutant Bruno Latour. Rendre hommage à un savant dont les propos durant le confinement élevaient son sens de la nature.
• Nemopistha Sinuata. Un hommage à ses deux grands-mères couturières, manuelles et minutieuses comme l’artiste.
• Sous haute surveillance ou l’évasion du siècle. La période de confinement fut aussi celle de l’évasion rocambolesque du patron de Nissan, dans une malle (un étui de musicien ?) depuis le Japon, croisant les grues et sous les yeux des autorités. Une aventure de bande dessinée, style Pieds nickelés !
Puisant dans sa mémoire visuelle encyclopédique elle en retient les formes, les choisit, les ordonne, mélange les types de manière surprenante (des yeux et des grues du Japon), les découpe.
• On l’aura. Un désir forcené de trouver un vaccin contre le virus, le soutien aux scientifiques.
• Le virologue. Le savant à l’œuvre, l’élévation de la pensée rationnelle.
Tout est ensuite recherche d’équilibre et d’assemblage en jouant sur leurs formes, leur beauté étrange. Le titre vient sceller la cohérence d’ensemble et donner sens à ces rapprochements.
•À l’intérieur de nos cellules. Le regard du scientifique pour traquer le virus ; le regard introspectif de l’artiste sur ce qui fait notre temps.
Tout se fait dans la légèreté, d’où l’abondance des ailes de papillon, mais pas dans l’apesanteur ni dans l’interstellaire : la présence des socles, l’orientation des bâtiments, les fumées qui s’élèvent montrent qu’il y a un haut et un bas. Dans ce « partage du ciel », sans ligne d’horizon, la pensée s’élève, mais est liée aux questions de la terre.
Jean Deuzèmes
Vidéo des œuvres de l’artiste présentées lors de la Nuit Blanche2019 à la Commanderies des Templiers, Élancourt (78)
Cosmos 51 (1751 : début de l’Encyclopédie)