Cerith Wyn Evans "... après Stéphane Mallarmé"
2008, néon
« Un coup de dés jamais n’abolira le hasard ». Tout part de là.
Cette affirmation éponyme dupoème de Stéphane Mallarméen 1897, a été commenté de multiples fois. On retiendra ici l’intuition d’un jeune philosophe, Quentin Meillassoux, qui a même construit autour de lui une métaphysique.
« Pendant tout le XIXe siècle, romanciers, poètes, philosophes ont travaillé d’arrache-pied à inventer une nouvelle religion civile délivrée du dogme chrétien. Ils ont proposé d’adorer l’Homme, le Beau ou encore la Raison, en vain. La science a pris le dessus, le hasard s’est imposé comme loi. Depuis, tout n’est que non-sens et absurdité ». Le poète est blessé par le désenchantement du monde et pense que sa mission est de construire un culte à l’esprit moderne.
« Mallarmé nourrissait un rêve fou : écrire un livre, le « Livre » supposé combler à lui seul le besoin d’adoration de ses contemporains. Un cérémonial réglé avec une minutie maniaque devait en encadrer la lecture publique. »(Lire)
« Si Dieu est mort, tout devient aléatoire et plus aucun Absolu ne s’impose à nous... sinon la contingence elle-même. Et s’il faut préserver la possibilité d’un Absolu, c’est que lui seul peut nous protéger du retour paradoxal des idoles. Avec férocité, Meillassoux désosse le relativisme contemporain qui, au prétexte que Dieu n’existe plus, encourage chacun à croire à ce qu’il veut. »
Les Mystères du château de Dé
Man Ray s’est aussi attaché à interpréter cette phrase, après bien des artistes, en 1929, en intitulant son troisième et dernier film « Les Mystères du château de Dé » ; étrange documentaire où la dernière image est explicite.
Robert Filliou, Eins.Un.One…
1984
Cette œuvre de dimension variable, pouvant occuper un disque de 5 à 9 m de diamètre, est constituée de 5 000 dés de couleurs différentes, mais dont toutes les faces ne comprennent qu’un point. Conçue dans l’esprit Fluxus, ce courant des années 60 touchant tous les arts, elle se caractérise par un sens aiguisé de l’improvisation, de la performance, ludique à premier abord, mais en fait très sérieuse. D’ailleurs, l’artiste, ayant accédé au bouddhisme, l’a réalisée après une retraite de trois ans. C’est un pied de nez au hasard, car la vie finit toujours de la même façon, pour tous les humains, quelle que soit leur couleur.
Ben Vautier ? Dieu à pipé les dés
2010
Cette œuvre, avec sa faute d’orthographe, s’inscrit dans une longue tradition de Ben, celle de tout signer et de jouer à Dieu. En 1961, il publia une revue d’art total « Dieu ».
MOI BEN J’EXPOSE, JE SIGNE ET JE VENDS DIEU.
Ici, il joue sur l’ambiguïté, un simulacre de dénonciation, avec des dés très ordinaires, une invitation à jouer à un jeu dont on ne connait pas les règles tant il y a de dés.
Évariste Richer, Avalanche II
2012
Ce tableau déroulant constitué de 60 000 dés standards est caractéristique de son œuvre centrée sur la compréhension du monde, s’appuyant sur les sciences dures. Avec Avalanche, il exprime la formation chaotique d’un phénomène naturel. S’il semble que cette œuvre soit agencée par le hasard, en fait sa construction est d’une rigueur exceptionnelle associée à une grande fragilité.
Tony Cragg, Pan (Dice), poêle (en dés)
1999
Le grand sculpteur britannique et allemand, ayant occupé en 2013 la Chaire de Création artistique du Collège de France, a adopté le savoir-faire de l’artisan dans des sculptures monumentales. Se situant dans le sillage des nouveaux réalistes, il reprend des formes dérivées d’objets ordinaires, en amplifiant des lignes ou formes courbes et en utilisant des matériaux inusités, voire rejetés de l’industrie, pour leur conférer de la noblesse. Sa poêle tient aussi de la corne d’abondance, celle qui déverse la fortune, comme les dés peuvent le faire.
Jean Deuzèmes