La question du temps revient en permanence chez Pascal Convert, mais sans qu’il cherche à le figer et encore moins à proposer des commémorations, même s’il est question de date, d’époque, de contexte social. Il croise la grande Histoire et la petite à l’échelle humaine et par ses sculptures ou ses grands formats il ouvre aux spectateurs des voies de méditation.
Il y a chez lui un engagement d’artiste très spécifique : son regard fait entrer toutes choses, mêmes les plus intimes, dans la sphère publique
Le plasticien est ainsi l’auteur inspiré de ses cartels ou présentations, qui permettent de lever le voile sur la création technique de ses pièces. Ses œuvres ont une puissance salvifique alors que les évènements qui sont à l’origine sont désespérants.
Artiste des traces laissées par l’histoire, il les transforme pour déminer le mortifère.
« Un souffle de chaleur rallume une étrange intimité. [Ces œuvres réaniment] le foyer qui nous réunit dans l’intime et dans l’immense. Nous ne sommes plus seuls dans le silence. Les visages ne s’effondrent plus, les paupières s’ouvrent, les lèvres n’ont plus peur, l’angoisse s’éloigne[…] »
Les Voix qui se sont tues, ≠1 et ≠ 2, 2022
L’œuvre éponyme du nom de l’exposition, une cloche de verre, donne le ton faute de son. Elle recouvre une petite cloche de fonte, que l’on peut mettre en relation avec celle que l’artiste a faite au Mont Valérien>> en hommage aux fusillés, monumentale avec ses 2,18 m de hauteur et 2,7 m de diamètre, où sont inscrits les noms de ceux qui y ont été exécutés.
La cloche est un symbole universel pouvant par exemple évoquer le tocsin au mort. Posée sur le sol, elle devient le symbole du silence.
Ces cloches exposées à RX se font très proches du visiteur, parlent avec émotion des familles et des amis, de tous ceux qui manquent. L’étrange transparence témoigne en fait d’une nostalgie communicative : « Je ne sais plus si ces voix sont douces et sonores comme celles “des aimés que la vie exila“ (Paul Verlaine), mais malgré le globe de verre qui nous sépare et empêche ma main, un souffle de chaleur rallume une étrange intimité. Et tous ceux qui s’éloignaient jour après jour, année après année, redeviennent proches. » (Livret d’accueil)
Empreinte d’un cerisier atomisé le 6 août 1945 au Seiju-Ji temple, Hiroshima, 1998
Ces quatre œuvres en résine laquée réalisées sous la responsabilité de Shohyo Oba, maître laqueur de l’Université des beaux-arts de Kanazawa, Trésor vivant, expriment pleinement la démarche de Pascal Convert.
Il se saisit d’un point d’histoire, définit l’objet qui rendra le mieux compte du contexte et de sa part d’universalité, lui fait subir une transformation, ici un simple moulage peint, mais ailleurs le fait brûler pour lui substituer du verre, qui l’un comme l’autre sont intemporels. Puis il se met en retrait dans la fabrication, en s’appuyant sur les compétences d’un homme de l’art.
Tout est lié : la relique d’un cerisier, la matière et l’encre de chine, la mémoire du contexte. La présentation adoptée est celle des gisants, la représentation des morts dans leur dignité. Retour à tous ceux qui ont disparu à Hiroshima.
Le panoramique de la Falaise de Bâmyiân, Afghanistan, 2017
Cet immense panoramique, exposé dans la Galerie du Temps au Louvre Lens, part d’une date, le 11 mars 2001 : destruction à l’explosif de deux Bouddhas géants (53 et 38 m de hauteur) par les Talibans.
L’homme de l’art est ici triple : une start up qui prend par drone des milliers de photos, une société qui scanne avec des techniques industrielles, un tireur de photos grands formats selon une technique ancienne par contact au platine-palladium. Le résultat est un mélange de douceur et de précision, un paysage sans âge.
Mais le fond de la question est le geste destructeur qui ne peut-être effacé : il reste deux grands trous, les cavités qui deviennent visibles et structurent tout le paysage. L’objet nouveau est une trace. « Cette trace [] vaut désormais comme le nouveau monument de cette histoire. Il est si facile de pulvériser un corps. Si difficile cependant, d’effacer un trou. » (Georges Didi-Huberman, Ritournelle de Bâmiyân). Pascal Convert lui aussi est un iconoclaste à sa manière, mais il transforme les objets en autre chose : une belle réalité.
Bibliothèque de confinement, Cristallisation, 56 livres en verre rouge de Chine, 2020
Cette œuvre a été réalisée en mars 2020 durant les 56 jours de confinement, période qui a obligé maints artistes à trouver un sens à leur vide social.
Pascal Convert, grand lecteur, a choisi de cristalliser un livre par jour, selon ses méthodes traditionnelles de mutation en verre, qui sont à la fois iconoclastes et iconophiles. La nouvelle bibliothèque, toute unifiée par la couleur, fait le lien entre la littérature qui nourrit l’artiste, les arts visuels qui sont l’expression de sa pensée et une période historique, le confinement. Réalisée de manière singulière, elle renvoie à la représentation collective des linéaires de livres de nos bibliothèques.
Son histoire personnelle nous rejoint tous, ses livres ne sont pas des blocs homogènes, mais ils sont rongés, symboliquement par le Covid ou par ce temps suspendu qui nous a semblé si long. Nouveauté, alors que les maîtres verriers Olivier Juteau et Catherine Denoyelle — avec lesquels il travaille— utilisent généralement un verre blanc qui devient gris en intégrant les cendres de combustion, ici Pascal Convert a utilisé du verre rouge de Chine. Les livres sont devenus des ardents.
Cristallisation n°3, 2014
Une sculpture splendide donnée à l’église Saint-Eustache.Lire l’article de Jean Deuzèmes>>> qui décrit les méthodes de cristallisation et le rapport au religieux que cette œuvre de Pascal Convert peut entretenir.
Jean Deuzèmes