Si les artistes urbains font du bestiaire une source d’inspiration de leur travail, dans la continuité de leurs ainés, c’est pour pointer les préoccupations de nos sociétés contemporaines.
Traversés par les questions environnementales relatives à la sauvegarde de l’espèce animale et à sa cohabitation avec l’homme, ils abordent ici l’arrivée impromptue, telle qu’elle s’est récemment produite, d’un bestiaire sylvestre dans la ville - cerfs, sangliers ou blaireaux. Par opposition, à l’extérieur, la campagne qui constitue un monde sauvage, où vivent ensemble animaux partiellement domestiqués et toute une faune indomptée, mise à mal par les actions et les comportements des hommes. Au-delà du seul propos environnemental, l’exposition se veut également une métaphore de l’art urbain qualifié de sauvage à l’origine qui, le temps de l’exposition, investit le musée ; un art engagé, témoin et lanceur d’alerte. Ce qui semblait à nos yeux incongru est devenu commun.
Scarf. Sauve qui peut
Un trompe-l’œil hors d’échelle !
Tel un premier de cordée, cet écureuil roux hisse un chat pour le faire entrer par une fenêtre peinte sur le mur du musée dans une pièce qu’il semble avoir colonisée, tel un nid de fortune. L’écureuil peut être une proie pour le chat, mais ici les deux espèces s’entraident désormais pour survivre dans la ville.
War ! Ruée sauvage
WAR ! est un artiste rennais dont on ne connaît pas le visage, car il travaille masqué. Invité par le Musée de la Chasse et de la Nature, il marque cette exposition jubilatoire au milieu des animaux empaillés. Dans la grande tradition du Street art, il a peint une immense fresque, avec cette légende inscrite directement dedans : « Nous ne faisons que passer ».
À l’époque des canicules et de la perte de la biodiversité, la nature s’invite brutalement en ville. Le message est simple : « Le déluge animalier est en quête de refuge, mais les héritiers de Noé, apprentis sorciers, n’ont plus d’arche à proposer. Ils ont failli et cette ruée sauvage vient le leur signifier : le temps de Sapiens est aussi compté. » (Flyer de l’expo) Un memento mori ?
Nadège Dauvergne. Le sanglier des villes
L’artiste introduit la confusion entre le dedans et le dehors. Ce n’est pas les animaux qu’elle dessine, mais elle reproduit le contexte urbain avec des crépis tachés et tagués devant lequel elle a placé un des sangliers empaillés du musée. Celui-ci n’est plus alors une bête de la forêt, mais il prend le statut d’animal urbain, jusqu’à sembler enfermé dans le musée.
Ruban Carrasco. Le retour de la faune
Le renard géant semble sortir du mur et fait face au visiteur. Au premier regard, il apparaît menaçant, le mythe du loup se rappelant au visiteur, mais il tient dans sa gueule le doudou d’un enfant en forme de lapin. Il avance à pas lents et est bien moins menaçant qu’il y paraît : il revient pour rapporter le jouet perdu. Cette superbe représentation reprend les grands textes, dont la Bible, qui imaginent un monde pacifié entre hommes et non-humains. Très loin de l’univers de Disney.
Bordalo II. Faucon crécerelle
L’immense oiseau accroché dans la cour est un rescapé du DDT. Mais l’artiste le soumet à une autre menace, signifiée dans la technique utilisée. Celui-ci a construit, et non dessiné, son animal avec des résidus de plastique trouvés dans la ville : l’animal risque de mourir par ingestion des particules de plastique qui étaient dans ou autour des nourritures avalées. Lui aussi, comme l’homme, il peut être génétiquement modifié à terme par la pollution perfide issue de la consommation.
Jean Deuzèmes.