Odyssée : se dit d’un récit de voyage plus ou moins mouvementé et riche d’aventures singulières.
Et vous, si vous partiez sur une île lointaine : Quels objets aimeriez-vous fabriquer et emporter pour exprimer un certain goût de spiritualité ?
Cela change de la question éculée : « Quels livres aimeriez-vous emporter avec vous sur une île déserte ? »
Sur son radeau de planches récupérées, où les bouées sont des pots de peinture vides, Florence Obrecht embarque tout le monde vers des terres qu’elle enchante.
Florence Obrecht. Odyssée from Voir & Dire on Vimeo.
Avec son goût pour l’expression populaire et ses références aux grands maîtres, elle puise dans l’univers du religieux, elle réinvente des rituels.
Elle construit son installation comme une procession, non pas dans un esprit de dérision, mais dans un esprit poétique. Elle aime les processions joyeuses qui tiennent un peu des parades urbaines, elle a la dévotion heureuse. Elle en a même organisé une dans son quartier de Wedding à Berlin sur le mode coloré du « Vertep », cette forme ukrainienne traditionnelle de théâtre de marionnettes.
Florence Obrecht affirme que cette installation a les traits de l’expérimentation artistique et reconnait qu’elle a le visage de son atelier, avec les œuvres qu’elle aime et qui l’entourent au quotidien. Tous les objets trouvés qu’elle a rassemblés à l’excès retrouvent une deuxième vie (télécharger les noms des 36 explorateurs de son Odyssée).
Marqués parfois par le pop, ils sont étranges et pleins d’humour, ceux qu’elle a fabriqués ou retravaillés ainsi que ses tableaux font mémoire de personnes très importantes pour elle : des vases à l’effigie de Boltanski, l’artiste de la mémoire, du temps, le créateur de mythes contemporains ; de Louise Bourgeois qui a transformé en art ses relations familiales traumatiques ; et de Paul Thek. Elle a peint des icônes, des saintes familles, des vierges à l’enfant, des boîtes, des livres (dont un sur un prêtre déporté). Les modèles sont des amis, certains viennent d’Ukraine ou de Biélorussie. Les bannières de procession du siècle dernier — les voiles du radeau — deviennent des œuvres textiles de notre temps, pop ou naïves : « Die Liebe ist stärker als der Tod » (L’amour est plus fort que la mort).
Cette embarcation ne porte pas sur le drame des migrants, elle met en contact l’esthétique populaire avec les représentations religieuses et fait référence à de nombreux grands maîtres anciens. Le bricolage d’objets, lui, fait référence aux travaux d’une certaine scène artistique (notamment américaine), passée de l’underground à la lumière des musées (Mike Kelley, Thomas Hirshornet surtout Paul Thek).
Le radeau échoué dans la salle des colonnes, sous un tableau représentant la Cène, est un manifeste de joie, mais aussi une expression de la fragilité, de la précarité et du risque dans la traversée de la vie. Ici l’artiste se rassure spirituellement et culturellement avec tout ce qu’elle a produit et le donne à voir à celles et ceux qui passent.
L’artiste ouvre des écoutilles sur tout un monde, elle embarque sa foi. Cette œuvre est fondamentalement contemporaine, Saint-Eustache est son port le temps d’un été.
Jean Deuzèmes
Commissaire de cette exposition à Saint-Eustache : Michel Micheau
Site de l’artiste (très original)