Zero Dom
2021, 8 x 4,1 x 4,1 m
Cette statue monumentale installée [2] devant l’Institut de France, en théorie durant toute la rétrospective au Centre Pompidou (20 octobre 2021 - 7 mars 2022), a été donnée par l’artiste à l’occasion de son élection comme membre associé étranger de l’Académie des Beaux-Arts.
Le titre Zero Dom est à l’origine une référence au nom de son fournisseur de peinture, « Zero », expression dont l’artiste s’est servi dans d’autres œuvres de peinture, dans une tradition dadaïste. Mais Zero renvoie aussi bien à la mort qu’à l’idée de recommencer à zéro une carrière d’artiste, c’est-à-dire à une nouvelle vie.
Dans ce bronze, dont l’arbre taillé à la hache a servi de matrice, on distingue une superposition d’au moins deux inspirations : des jambes de femme dansant la ronde, mais aussi un igloo, une tente sans enveloppe, une expression du sauvage permanent chez lui.
Le vocabulaire spécifique de Baselitz et des œuvres antérieures indiquent qu’il y a une part d’autoportrait dans ces pieds, un symbole existentiel d’ancrage dans le sol qui contredit l’élévation vers le ciel. Le faisceau est lié par un fil d’acier rugueux, brutal, mortifère comme l’était son bouquet de branches-bottes dans Bündel (Fagot, 2015). Comme dans beaucoup d’œuvres qui sont des reprises de travaux antérieurs sous des formes légèrement différentes, Zero Dom doit être relié à Winterschalf, une œuvre de l’exposition du Centre Pompidou, au centre de la dernière salle, peut-être la plus bouleversante, car elle traduit une grave réflexion sur la vieillesse et le rapport de Baselitz à sa femme.
Winterschalf (Hibernation)
, 2014
Cette statue en bronze patiné fait partie de la série qu’il commence à partir de 2011, d’un noir charbonneux, aux matrices taillées dans le bois. L’image du fagot ici horizontal rappelle une œuvre de référence conçue par Joseph Beuys, Schneefall (Chute de neige) 1965, à laquelle était attaché Baselitz pour la nostalgie qui en émanait : trois troncs d’épicéa recouverts partiellement de tapis de feutre qui réchauffent les arbres blessés dans le but de les relever .
Mais dans l’œuvre de Baselitz les branches sont déjà des pieds ou des chaussures de femme, rassemblées par des bracelets de femme, et déposées sur une table qui a les traits d’un autel.
2014 est le début d’un cycle où l’artiste aborde la question de son vieux corps malade et fait à de multiples reprises référence à la tendresse dont il entoure sa femme Elke.
Une fois de plus le titre éclaire la complexité de l’œuvre : le noir comme menace, mais aussi la possibilité du renouveau, après l’hibernation.
Avant ces œuvres en noir, Baselitz a fait de nombreuses sculptures peintes.
Parmi les plus célèbres, Dresden Frauen (Femmes de Dresde),
Réalisée en 1991, soit 2 ans après la chute du Mur, c’est une série de bustes taillés avec force et peints en jaune, en hommage aux femmes qui ont déblayé les ruines et participé à la reconstruction des villes. Pour ce faire, il a puisé dans ses souvenirs d’enfance et notamment des bombardements qui ont détruit Dresde en 1945 et dont il a vu les dégâts à l’âge de 7 ans.
Modell für eine Skulptur (Modèle pour une sculpture) 1979-1980 est la première œuvre qui l’a fait connaître.
Invité à représenter la République Fédérale d’Allemagne à la Biennale de Venise en 1980 au côté de Kiefer, il crée sa propre sculpture à partir de bois de tilleul taillé à la hache et au ciseau, puis aspergé de noir et rouge. Avec le jaune du bois sont ainsi rassemblées les couleurs du drapeau allemand. À l’origine du sujet, la sculpture médiévale germanique et les sculptures africaines qu’il collectionne. Le titre souligne le caractère volontairement inachevé de ce travail, donc implicitement du projet allemand. Mais placée seule au centre du vaste espace du pavillon, à l’endroit où Hitler et Mussolini s’étaient rencontrés, avec ces références et le geste ambigu du personnage, cette sculpture a suscité la polémique et le débat d’idées. Comme Kiefer, Baselitz met la question de la mémoire au grand jour.
Jean Deuzèmes