Un site de découvertes de l’art contemporain en résonance avec le projet culturel et spirituel de Saint-Merry-hors-les-Murs

V&D sur instagram

Accueil > Regarder > V&D décrypte des œuvres et des expos > Saul Steinberg. Entre les lignes


Saul Steinberg. Entre les lignes



Regarder la petite exposition du Centre Pompidou, de ce dessinateur inclassable, c’est se plonger dans un interstice de l’art du XXe, entre beaux-arts et presse. Un regard amusé souvent acerbe. Des œuvres jubilatoires, immédiatement accessibles.

Saul Steinberg (1914-1919) traversa le XXe siècle en parcourant le monde, mais il disait qu’il avait quatre patries : la Roumanie, où il est né, l’Italie, où il se réfugia du fait de l’antisémitisme, New York qu’il atteint in fine, et le New Yorker, le grand magazine dont il fit de nombreuses couvertures. Il est considéré un peu comme le père de Siné.

Célèbre pour ses dessins de presse il a utilisé nouveaux supports pour libérer le dessin de la feuille de papier, il s’est lancé dans le collage, dans la photographie, dans la sculpture pour traduire une vision subjective du monde, traversée par le doute et l’humour. Il s’est joué tout autant des codes du langage et de ceux de la société.
Il a toujours gardé la vivacité du regard de l’immigré cherchant à connaître le pays d’accueil.
Centre Pompidou lui consacre une exposition de plus de 80 œuvres : une découverte du fonds exceptionnel qui lui a été légué.
« Ce que je dessine, c’est le dessin, le dessin dérive du dessin. Ma ligne veut sans arrêt rappeler qu’elle est faite d’encre. » Il se définissait, par ailleurs, comme un écrivain qui dessine, car la forme et la fonction du langage nourrissaient son inspiration.

Dans l’exposition, trois parties très marquées problématiquement ouvrent souvent sur des œuvres-pièges.

Une vision des États-Unis : la presse

Un an avant son arrivée à New York, il est déjà reporter et forge un portait de l’Amérique ainsi que de l’humanité. Il supprime les légendes, le dessin devenant la métaphore d’une idée. Cependant l’écriture est omni présente, les lettres s’autonomisent et acquièrent une personnalité. Ses œuvres sur papier tiennent tout autant du dessin, de l’impression, de la calligraphie. Les mots, les injonctions dessinent des paysages et architectures, il a en effet reçu une formation initiale d’architecte.
En fait, son regard tient à la fois de celui du sociologue et de l’ethnographe. Il est parfois déstabilisant.
Âpreté et tendresse se partagent les dessins. L’une pour dire la ville et sa dégradation, selon lui, à partir des années 70. L’autre s’exprime dans des sujets intimes de portraits, de natures mortes peuplées d’ustensiles ménagers. Des œuvres délicates.

À la fin des 60’s, il devient très acerbe lorsqu’il décrit la société de consommation. « Le pays n’est plus qu’un gigantesque restaurant et Union square, à New York n’est pas moins encombré que Hong Kong. » écrit-il à son ami Aldo Buzzi, écrivain et metteur en scène.
Avec l’arrivée de nouveaux dirigeants, qu’il n’aime pas, au New Yorker, son territoire se réduit à son quartier puis à son appartement durant 20 ans, passant sans cesse d’un dessin à l’autre, c’est-à-dire d’une idée à l’autre.

Masques et faux semblants

Détenteur d’un passeport roumain caduc et d’un diplôme d’architecte rendu inutilisable par la mention « juif étranger » en 1940, Steinberg cherche à fuir et multiplie les démarches pour avoir un visa. Tampons, empreintes, signatures entrent dans son œuvre. L’artiste se revêt des habitus du faussaire, du calligraphe, pousse la logique du faux jusqu’au trompe-l’œil. Ses œuvres construisent les références au nième degré, il brouille toutes les pistes. Natures mortes, jeu de miroir à l’infini font office d’autoportrait. Il pose avec un masque sur les photographies !
Il en vient à faire des masques à partir de sacs en papier du commerce, qui sont autant de types sociaux.

Autofictions.

Étant cosmopolite et polyglotte, ses voyages dans le monde sont autant d’occasions de voyages intérieurs. Il élabore des cartes postales et des paysages qui ont de grandes similitudes.
Il y inclut des timbres et tampons pour en souligner la véracité du souvenir, tout autant que du factice. Les curieuses petites sculptures sont conçues comme des autoportraits, une autre façon de découvrir l’écrivain.

Art Viewers

Le visiteur de l’exposition est accueilli par un immense mural conçu en 1966 à la Galerie Maeght comme une prolongation de l’exposition. L’artiste interroge avec malice la place du spectateur. La peinture livrée à l’imaginaire des visiteurs est capable de transformer ces derniers au point de déteindre sur leur apparence. Il considérait que « les gens qui regardent l’art sont encore plus intéressants que l’art lui-même. » Ces visiteurs apparaissent sous forme de grandes figures de toile imprimée rehaussées au crayon ou à la craie grasse.

Jean Deuzèmes


Centre Georges Pompidou. Saul Steinberg. Entre les lignes.
29 septembre-28 février 2022

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.