**Le conflit et la lutte : des sources d’inspiration chez ARYZ
Les questions du conflit et de la lutte sont permanentes même en temps de paix, elles sont incontournables chez l’être humain et dans son histoire, la lutte des classes en étant une traduction dans les champs politique et idéologique. Ces thèmes anthropologiques sont aussi au cœur des religions et de leurs interrelations avec la société, comme l’actualité le montre au Proche-Orient et dans le monde.
Le conflit est au cœur du politique. Les textes religieux n’y échappent pas non plus, tantôt parce qu’ils sont décrits comme constitutifs de la formation des peuples tantôt parce qu’ils sont utilisés par les prophètes, ou encore parce qu’ils sont inscrits dans les textes sur les relations entre Dieu et les hommes. La Bible en est remplie (103 occurrences des mots lion, lionne, lionceau [2].
Dans la Bible, il symbolise la tribu de Juda et la lignée davidique. Il est présent dans Ezéchiel et l’énigme posée par Samson aux Philistins. Dans la tradition chrétienne, il est le symbole de saint Marc et de saint Jérôme. C’est une grande figure de l’Apocalypse. Dans les psaumes il représente l’angoisse du mal. S’il a une image positive au Moyen Âge pour signifier la vaillance et le courage, il a cependant une connotation négative dans certains textes et est associé au mal et à la menace.
Cet animal polysémique dans plusieurs cultures apparaît comme le roi des animaux, les enfants le percevant comme tel grâce aux films d’animation. Les lions d’al-Andalus sont célèbres dans l’architecture espagnole ; en France il se retrouve dans les fables de la Fontaine et la construction de morales.
Réfléchir sur les luttes, c’est réfléchir sur la colère, la guerre, le conflit et la provocation, c’est aussi prendre en considération l’envers et dire l’aspiration à l’accord, à la compréhension, à la réconciliation, à la proclamation des idéaux de justice et à la libération.
Ce désir de Paix se retrouve dans des figures connues : Jacob luttant avec l’ange, Hercule contre le lion, Turnus et Enée (dans Virgile et Dante), David et Goliath, etc.
Le lion est souvent mentionné dans les sentences de vaillance, d’agressivité, de bravoure, de protection de la lionne et des lionceaux, pour illustrer ce monde de la violence et de la lutte. Ses valeurs au combat sont désirées par l’homme, mais s’il peut vaincre, il peut aussi être vaincu. Rien n’est joué, alors que c’est la paix qui doit prévaloir « Après ».
De leur côté, les artistes participent aux conflits des hommes en les représentant, en s’y engageant, en contribuant à la propagande, etc. Josep Renau, Juli González, Ramon Casas, Ramón Puyol ou Pablo Picasso ont fait en sorte que certaines périodes de crise servent aussi à dialoguer, à réfléchir sur les idées en faveur de la justice et à établir un dialogue constructif sur la paix. On pourrait parler d’une histoire cyclique de défi, d’abnégation et de lutte, qu’ARYZ rouvre avec cette proposition.
**Le lion d’ARYZ : un justicier
Au lieu de mettre en scène un spectacle de lutteurs, le conflit rapproché est abordé à Saint-Merry en mobilisant les images du lion et de son dompteur, spectacle désormais interdit dans les cirques. D’une œuvre à l’autre, l’artiste passe ainsi de deux hommes à un homme face à un animal. Mais c’est toujours la figure de l’homme qui est centrale et questionnée. Dans cette représentation des conflits de domination, le lion est représenté porteur de valeurs humaines.
Dans l’installation dynamique créée pour Saint-Merry, on observe simultanément plusieurs figures du lion et de l’homme en mouvement décomposé, mais le premier ne meurt pas. Contrairement aux épopées d’Hercule, de David ou de Samson c’est même le lion qui semble gagner. Cette pièce joue volontairement sur l’ambivalence. L’animal représente le pouvoir et la force, politiquement la majesté, mais il est aussi l’image de la solitude et de la réflexion. Il fait référence à une nature royale, le roi de Juda, qui attend le bon moment, mais il signifie aussi l’apparition du mal qui attend patiemment le bon moment. Si la vision d’ARYZ intègre cette vision religieuse, elle ne cache pas une autre plus politique :
« Nous pouvons aller plus loin encore et percevoir le lion comme celui qui lutte contre l’injustice, en donnant la parole aux sans-voix. Celui qui se bat contre la croyance qu’une race, une communauté, un pays ou un sexe a le droit de dominer, d’utiliser et de contrôler un autre en toute impunité. Grâce à cette dualité […], le visiteur peut élaborer sa propre interprétation […]. Il s’agit d’ouvrir une série de questions [provoquant] la réflexion personnelle de chacun. » ajoute ARYZ dans sa présentation.
Cette œuvre n’est pas un jeu, mais une interrogation dont le titre porte la trace. Quelle est la Cause / la Causa / the Cause de ce conflit qui mène à un « Après » ? Quelle Cause le lion défend-il ?
L’artiste se fait politique et moraliste : « C’est par une intense réflexion sur les causes d’un conflit que l’on peut accéder à la paix que chacun désire ».
Cette œuvre est donc très ouverte et la question que semble poser l’artiste ouvre sur bien d’autres interprétations.
Ainsi, l’œuvre a été conçue avant la pandémie, mais elle est arrivée après à Saint-Merry, matériellement en passant d’un pays à un autre. La Covid 19 est aussi un non-humain qui a terrassé des dizaines de milliers de femmes et d’hommes. On ne prête aucune valeur anthropologique à ce virus dont la seule finalité est de se reproduire. L’homme, lui, a trouvé une cause à ce combat qu’il mène.
**Le lieu du lion
Un lion dans une église ? Étonnant ? Non à Saint-Merry, il y en a déjà plusieurs représentations :
le bestiaire du portail, la frise de la nef, l’horloge et le chef d’œuvre de Théodore Chasseriau (1843), « Sainte Marie l’Égyptienne » où est représenté un lion devenu doux comme un agneau aidant le moine Zozime à creuser la tombe de la sainte.
Cette représentation, unique et presque triomphale de l’animal, en justicier sur le point de dévorer l’homme contraste avec celle de Chassériau où il est inclus dans une histoire pieuse, une sorte de BD dont les sujets sont la rédemption et la conversion, où il est l’auxiliaire du saint moine. Ainsi l’œuvre d’ARYZ rejoint la cohorte visuelle des animaux éléments patrimoniaux singuliers de cette église. Un parcours de découverte de ces représentations est proposé durant l’été.
L’accrochage d’une œuvre portant sur la lutte avec un non-humain au milieu de la chapelle de Communion baroque n’est pas neutre après l’épidémie de Covid. L’installation dont le sens est porté par une forme et des couleurs très expressives est placée dans un lieu où la lumière du soleil peut être brutale, au pied d’un tableau du XIXe représentant saint Charles-Borromée faisant face à un autre mal, l’épidémie de peste (1576), alors qu’il organisait la population milanaise, le confinement de l’époque, et distribuait la communion.
L’effet de surprise de cette œuvre très visible, contrastant avec les tableaux du XVIIe et du XIXe, le caractère inhabituel de sa localisation, plairont probablement aux plus jeunes ; ils inviteront le visiteur à réfléchir la symbolique des conflits, aux ambivalences de l’animal et de l’homme.
Le bestiaire de pierre à Saint-Merry from Voir & Dire on Vimeo.
Jean Deuzèmes
site web : www.aryz.es
facebook : www.facebook.com/aryz.aryz
instagram : instagram.com/mr_aryz
twitter : @aryz_
Exposition visible du 7 juillet aux premiers jours de septembre 2020
[**
Les œuvres de l’exposition d’été 2020 à Saint-Merry*]
Le sens de l’exposition d’été
RERO. Réel Virtuel Spirituel
ARYZ. La Cause / La Causa/The Cause
Valérie Simonnet. Ma vie en 16/9 ème
Isabelle Terrisse. Nid douillet
Claudie Titty Dimbeng. Le Passage
Les EpouxP. Pascale & Damien Peyret. Cyanotype
Voir et Dire, un réseau sur l’art contemporain, pour le comprendre et l’apprécier.
Retour page d’accueil et derniers articles parus >>>
>>
Recevoir la lettre mensuelle de Voir et Dire et ses articles ou dossiers de commentaires d’expositions, abonnez-vous >>>
Merci de faire connaître ce site et cet article dans vos propres réseaux.