Il est difficile de construire une synthèse définitive de toutes ces approches stimulantes, voire déroutantes dans cette vaste exposition.
La scénographie exprime cette vision du contemporain en proposant un parcours immense, clôt de multiples « boîtes-espaces » de petits expositions, un labyrinthe. Les commissaires ont, en revanche, trouvé une scansion plutôt convaincante sur les regroupements formels d’artistes :
1. Les caustiques : qui donnent une vision à chaud de l’espace social, sans se départir d’un humour grinçant, mais salutaire
2. Les élémentaires : qui montrent comment ils abordent la question du spirituel et de l’immatériel
3. Les doubles : qui ont comme point commun de créer des formes closes où se niche l’image inquiète du double ou du jumeau
4. Les conteur.se.s : où l’on découvre que les artistes continuent d’explorer des mythes ancestraux, mais en déployant des imaginaires syncrétiques
5. Les ornementalistes : qui traduisent leur désir d’explorer l’intime et le domestique que nous entretenons avec les objets
6. Les esquiveur.se.s : qui développent leur langage singulier sur le mode de la résistance à tout
7. Les iconoclastes : qui se penchent sur les détournements de l’histoire et de l’histoire de l’art, tantôt politiques, tantôt fantastiques ou occultes.
Au centre de l’exposition se trouve la question lancinante du contemporain que l’on avait cru réglée par l’adoption de chronologies successives et que les commissaires cherchent à approcher différemment, sous l’angle de la philosophie de l’art.
« Contemporain est un « mot transitif et par conséquent relationnel », rappelait Lionel Ruffel dans Brouhaha. Les mondes du contemporain. On est contemporain de quelque chose ou de quelqu’un et c’est cette interdépendance, ce liant qui nous sert à établir des ponts d’un·e artiste à l’autre dans l’exposition que nous avons bâtie dans l’ensemble des espaces du Palais de Tokyo. C’est encore cette perméabilité au présent et une forme de permanence au temps que nous avons cru déceler chez les artistes réuni·e·s dans l’exposition et qui nous a permis d’établir cette photographie non pas exhaustive, ni même représentative, mais simplement sensible d’une scène française. Ou plutôt d’une « autre » scène française. De celle qui se trame plus discrètement, mais avec non moins de puissance dans les ateliers, les écoles d’art, les espaces partagés, dans les marges ou à l’abri du marché.
Les artistes invité·e·s ont ainsi en partage d’opposer des formes de résistance aux assignations et autres effets de mode qui teintent irrémédiablement une époque. Non pas que ces artistes se tiennent à l’écart du monde d’aujourd’hui, bien au contraire, disons plutôt que refusant l’urgence, ils laissent s’infiltrer dans leurs œuvres l’épaisseur du temps. « Seul peut se dire contemporain celui qui ne se laisse pas aveugler par les lumières du siècle et parvient à saisir en elles la part de l’ombre, leur sombre intimité » écrivait il y a quelques années Giorgio Agamben, ressuscitant au passant la très opérante notion d’« inactualité » qui pourrait convenir aux artistes dont il est ici question.
Cette exposition est aussi l’occasion de rappeler qu’il n’existe pas une scène française, mais bien quantité de communautés, d’engagements et de singularités. Pendant les mois de préparation de l’exposition, nous nous sommes ainsi laissé.e.s surprendre par le relief de plus en plus saillant de certaines individualités à la surface vaste et complexe du paysage français. D’une curiosité toujours vive pour ce retour au collectif que l’on perçoit aujourd’hui chez un certain nombre de jeunes artistes qui tentent à nouveau l’expérience du vivre ensemble, des espaces partagés et des formes de mutualisation comme une réponse à une nécessité économique, nous sommes peu à peu passé·e·s à la nécessité de réaffirmer des trajectoires plus singulières. Singulières et pas forcément solitaires, puisque nombre d’artistes de cette exposition entretiennent des formes de compagnonnage au long cours avec leurs pairs, toutes générations confondues. »
Jean Deuzèmes
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