Enzo Certa mémorise ses références culturelles puis les fait exploser avec truculence et brutalité, sur un mode quasi expressionniste. Ses esquisses au fusain expriment l’urgence de sa pensée. Il donne du corps à ses idées.
Cassandre Rain est plus délicate, subtile, adepte de l’aquarelle et des sujets qui passent par des recherches dans les catalogues et ouvrages. Ses animaux sont séduisants.
Lui était dans l’incapacité d’aborder la peinture de la Vierge Marie (« trop difficile ») mais était à l’aise avec des personnages masculins, puisant dans les visages populaires caravagesques, introduisant son autoportrait sur le mode d’Ensor : la vie est un carnaval, sa nativité joyeuse aussi.
La division du travail entre les deux artistes s’est ainsi faite sur le respect de sensibilités différentes. Leur œuvre commune apparaît comme le résultat d’essais, de discussions passionnées sans construction préalable.
Après les esquisses, ils ont agrandi leurs personnages sur de grands papiers, puis les ont collés sur des panneaux de bois.
Le déconstruit est survenu alors par le découpage des éléments dessinés. Leur intuition a été guidée par une fresque de l’église dont on ne sait si l’incomplétude tient à l’arrêt du geste du peintre ou à la dégradation du temps.
Les morceaux aux formes très différentes ont ensuite été mis debout, puis positionnés pour donner un rythme.
Le résultat témoigne du souci des artistes de s’accorder, comme dans une co-location. Celle-ci est située dans un espace de l’église très différent des autres années, abritée par l’immensité des voûtes de l’église.
Tout est fait pour attirer le regard quand on tourne autour de cette interprétation expressive de la nativité, naïve et savante, comme cette tête d’âne dont on ne voit que l’envers dans un premier temps.
En regardant cette scène de théâtre, parsemée de paillettes figurant les cadeaux, on hésite : est-ce la manifestation de l’inachevé, le résultat de la traditionnelle charrette des Beaux-Arts où les retouches se font jusqu’à l’heure du vernissage [1], contrainte suprême ? Ou est-ce un mélange de genres les plus divers, un Baroque réinterprété ?
Et pourtant, l’œuvre qui semble partir dans tous les sens se tient bien, s’appuie sur les colonnes (symbolique traditionnelle du mystère de l’Incarnation) de pierre : elle incite au recueillement paisible et souriant.
Le titre « Un Come Back Annuel » tient-il de l’auto-dérision contemporaine des artistes ou de leur désir de reprendre une autre année leur inachevé voulu ?
Jean Deuzèmes
Enzo Certa
Né en 1989, Enzo Certa est diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2019 (atelier de peinture Tim Eitel). Ses oeuvres font partie de la collection Colart et de celle d’agnès B. Dans son travail, l’artiste développe une esthétique séductrice et décorative, et joue avec la théâtralité du trait, pour affirmer une artificialité de la peinture, et de l’art en général, face aux grands enjeux de notre époque.
Cassandre Rain
Née en 1993, Cassandre Rain est diplômée des Beaux-Arts de Caen. Elle travaille principalement le dessin et la peinture sur papier, en s’intéressant à la ligne, la couleur et à la figuration évocatrice, plus que narrative.