Valentin van der Meulen, artiste plasticien, né en 1979, vit et travaille à Paris. Il envisage le dessin comme un processus, il le construit, mais il le déconstruit matériellement ensuite, en le cachant partiellement au regard. Il poursuit un questionnement sur l’image, sur la perception que l’on a des sujets et, in fine, sur la mémoire que l’on en garde. Soit il rend difficilement saisissable une image initiale, soit au contraire il en révèle une. Dans la plupart des cas, l’œuvre finale est la superposition de deux états.
Il introduit le temps dans son travail et décline le triptyque apparition/disparition/trace sous des formats très différents.
Par exemple, dans « Houses - mémoire des déportés », son dessin est le résultat d’une performance de la main de l’artiste qui brosse sa toile en faisant disparaître la précision des traits dessinés initialement, pour que l’esprit mémorise mieux la profondeur humaine des modèles.
Dans Piédestal, c’est l’encre bleue, comme dans "Deep Blue" (2018), qui joue très lentement le rôle actif tenu dans d’autres œuvres par l’artiste et ses gestes énergiques.
La démarche artistique de Valentin van der Meulen intrigue mais peut toucher le spectateur sur le fond, car elle évoque implicitement l’expérience humaine des relations avec les proches, notamment les générations antérieures : la présence de la personne que l’on aime ou que l’on admire peut se transformer en absence, en rupture ou en disparition avec la mort, mais il en reste des traces matérielles (photos, dessins, textes, objets) qui activent le souvenir dans la vie qui se poursuit. Sur les anciennes tombes, les petits sous-verres sauvaient ainsi de l’oubli des personnes inconnues [1].
L’artiste a pris comme sujets des personnalités célèbres, d’autres peu connues mais engagées, ou encore des inconnus auxquels il donne de la dignité : migrants, traders, enfants, anonymes dont les images sont puisées dans des magazines.
Sur le fond, Valentin van der Meulen se distingue d’un Arnulf Rainer, activiste viennois bien connu, qui surpeint de deux manières différentes des œuvres. Quand il s’agit de ses propres photos qu’il couvre de traits rageurs, il exprime la peur, la négation de soi, la mort. Quand il recouvre les tableaux d’autres peintres, parfois d’autres époques, il puise de l’énergie dans ces œuvres antérieures, se les approprie pour les rendre contemporaines.
Gerhardt Richter, de son côté, a produit un nombre considérable d’œuvres où les sujets sont recouverts d’un voile diaphane ou opaque, qui est la métaphore de la toile sur laquelle est peint le sujet. Devenant un entre-deux entre ce dernier et le spectateur, le voile devient facteur d’interrogation : inatteignabilité des sentiments ou de la personnalité des sujets (accrue lorsque le personnage tourne le dos), statut de vérité des images, concurrence entre photo et peinture dans le système des représentations, etc. Dans un tableau célèbre,« S.with Child », de 1995 il a percé l’épaisseur de ses couches de peinture, pour signifier le désir du déchirement des voiles des apparences, mais cette blessure ne mène à rien hormis au jute de la toile support.
En fait, Valentin van der Meulen et bien d’autres artistes qui superposent des couches à un dessin initial sont ancrés dans le mythe initial de la peinture, le voile de Véronique, où le visage du Christ essuyé par une femme est la seule trace qui reste d’un visage de douleur, une apparition de la face, de ce qui fait face au spectateur. La peinture est le résultat de la succession de l’apparition d’un sujet (tout d’abord dans la tête de l’artiste) puis de sa disparition, la présence-absence du voile de Turin en étant une autre expression [2].
Le dévoilement est la grande question de l’art (lire Esthétique du voile ) : si les artistes de la Renaissance peignaient avec une précision extraordinaire pour atteindre l’essence du sujet ou du modèle ou pouvaient recouvrir d’un voile qui ne cachait rien mais au contraire révélait mieux encore, les artistes contemporains préfèrent l’opacité ou les grands gestes qui barrent la perception des fonds ; ils rejettent les mécanismes de l’illusion pour évoquer figures et visages, attitudes, finalement les hommes contemporains tels qu’ils sont ; ce faisant, ils renvoient le spectateur à lui-même par des esthétiques qui sont à chaque fois nouvelles.
Valentin van der Meulen avec Piédestal apporte sa touche, en mélangeant deux techniques le dessin et l’encre qui, ici, ne dessine pas mais couvre comme un voile ou une vague. À l’occasion de la Nuit Blanche 2019, il a été de détournements en clins d’œil et a pris comme sujet le personnage majeur des Lumières , Voltaire, pour l’ériger sur un piédestal, le lieu classique traditionnel de l’expression des valeurs en sculpture. En outre, il a ajouté un médium contemporain, la performance qu’il fait jouer aux matériaux mêmes, avec leur part d’aléatoire. Question sous-jacente : L’époque actuelle recouvrera-t-elle l’esprit des Lumières ?
Ce projet d’œuvre est envoûtant. Mais la performance d’une nuit n’a pas été suffisante pour recouvrir toute la toile et la pluie a gêné l’évènement.
Jean Deuzèmes
Site de Valentin van der Meulen
Site de la galerie Valérie Delaunay
Site de 6M3 et du projet de la placette
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