S’approcher d’ Opulent Ascension, c’est faire une expérience artistique d’entrée en silence, en dépit du bruit de fond. L’œuvre, visible de l’extérieur, s’impose dans sa monumentalité une fois les portes franchies. En effet, dans un édifice où un vide est généré par l’architecture immense, blanche, à la décoration réduite à quelques œuvres essentielles, la colonne de 10m matérialise le centre du bâtiment comme on ne l’a jamais vu.
Depuis l’entrée, la succession des strates colorées donne un caractère d’étrange monolithe pop, mais si l’on regarde la colonne depuis l’autel principal, la présence d’une ouverture la transforme en tour, de guet ou éventuellement habitable, sans toit, dans laquelle le visiteur se glisse. Le matériau utilisé, le feutre, absorbe les sons et invite naturellement au silence, un peu comme lorsqu’on se trouve devant les toiles colorées de Mark Rothko.
Les pièces de feutre ne sont pas alignées ou jointoyées. Evoquant les plissements légers d’une peau humaine, loin du froid de la perfection lisse, elles donnent une sensualité à l’œuvre. On a le désir de les toucher. Elles contribuent aussi au sentiment de verticalité qui débouche, l’été, vers le ciel bleu et éclatant de Venise par la verrière translucide du dôme. Ascension est donc le bon terme, celui du regard puis de l’émotion intérieure.
Sean Scully Opulent Ascension 2019 from Voir & Dire on Vimeo.
Cette vision contemporaine de l’échelle de Jacob (Livre de la Genèse 28. 10-16 ), de ce rêve de la communication entre la terre et le ciel, de cette expérience du Patriarche, est une juste et forte interprétation du texte biblique par un artiste du XXIe.
Les séparations entre les différentes couches de feutre transforment la notion de barreaux d’une échelle visuelle, tandis que les nombreux traits colorés irradient et expriment l’infini de la distance au Ciel : l’unique échappatoire au regard intérieur a les traits d’une lentille d’un télescope carré traversant l’oculus (œil) de la voûte. « Je veux rendre disponible le voyage entre le spirituel et le physique, entre le physique et le spirituel » écrit l’artiste.
Au travers de cette œuvre et de l’ensemble de son exposition, l’artiste diffuse une tension palpable entre l’accessible beauté, l’effort et le désir de transcendance.
Des œuvres exposées parmi d’autres.
L’exposition Human, comprend d’autres œuvres parmi lesquelles V&D en a retenu trois particulières.
Landline, ligne de terre.
Avec huit tableaux sur aluminium disposés dans une longue salle, cette série crée un paysage lyrique favorisant la contemplation. Les larges bandes aux contours épais font écho à la colonne en croisant horizontalité et verticalité.
Arles-Abend-Vincent 2.
Les quatre vitres colorées conçues par Sean Scully entrent en résonance avec le contexte d’accueil : une abbaye bénédictine dont les moines sont très ouverts à l’art contemporain. Ces couleurs vibrantes sont un hommage à Van Gogh, qui, par ses constructions et couleurs, est une référence de l’artiste. En poussant l’inspiration à l’extrême, celui-ci a donné à sa composition abstraite et colorée, se reflétant sur le sol, la force d’un objet.
Madonna Triptich.
Trois tableaux étonnants signent un retour récent à la figuration, abandonnée il y a 50 ans. Le sujet est une interprétation personnelle d’une figure traditionnelle de la peinture religieuse : la Vierge à l’enfant. Une photo de sa femme et de son fils à la plage a été déclinée sur la forme d’un triptyque, dans ses couleurs traditionnelles de l’abstraction. Le sujet est profane, l’interprétation par l’artiste est religieuse.
Jean Deuzèmes
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