Lors d’une exposition précédente en 2017, la galerie Anne de Villepoix, avec laquelle est organisée l’exposition de Saint-Merry en 2019, présentait « Infantes » de la manière suivante :
L’œuvre d’Iwajla Klinke, inspirée par l’art du portrait flamand et marquée par une certaine tradition du regard ethnographique, témoigne de pratiques folkloriques singulières qu’elle a documentées à travers une vaste entreprise photographique dans le monde entier. Saisissant ces scènes dans un langage plastique systématique - fond noir et lumière naturelle – elle construit un monde unifié, sans repères géographiques ou historiques, ce qui donne l’illusion d’un petit monde unique et utopique. Le plus souvent, ces fêtes ou réunions rassemblent des enfants et des adolescents qui se costument, se déguisent, se griment, passent d’une identité sexuelle à l’autre, créant ainsi des vertiges et des confusions.
On retrouve certaines photos de séries antérieures mais présentées dans un autre esprit.
Une des références de l’artiste est le « Journal intime. 1976-1991. Le Mausolée des amants » d’Hervé Guibert constitué de ses multiples photos légendées d’enfants et d’adolescents, mais aussi d’adultes (de Michel Foucault à Andreï Tarkovski...). Ce livre, dans lequel il aborde sur un ton personnel et authentique de nombreux aspects des identités humaines, témoigne de la sensibilité et de l’extraordinaire ouverture aux autres de ce météore de la culture.
Hemeralopia se révèle comme la poursuite du propre journal intime de Iwajla Klinke, sans texte, ouvert aux identités changeantes dans le monde entier. Cette démarche renvoie à des questions actuelles, captant ce qui se passe ailleurs. L’artiste ne se limite pas aux identités sexuelles, très souvent abordées dans l’art contemporain, mais porte aussi son regard sur les transformations des modèles de vieillissement, sur les sentiments de groupes de jeunes qui se sentent mi-humains, mi-dragons, des elfes ou des tigres ou encore affirment des liens avec les végétaux : ce sont les Thériens, ou les Otherkinds.
Ces certitudes vécues intimement s’expriment par les habits, par les dessins sur le corps, qu’ils soient normés par la tradition ou inventés avec l’artiste. La recherche que l’artiste fait sur les vêtements est au service d’une autre recherche sur l’intériorité des autres dont elle souhaite manifester les ressorts.
Par ces rituels réels ou imaginaires, par la posture de ses modèles, la rigueur et la permanence de ses principes de prise de vue dans le noir, Iwajla Klinke ne cesse de référencer ses œuvres à la question du sacré sur un mode intemporel, non rattaché à une religion particulière.
Ainsi la photo "Rasmus, le Footballeur aveugle", n’est pas dissociable de l’intérêt de l’artiste pour la Bible illustrée d’Utrecht (1430) où, lors du sacrifice d’Abrahham le fils, Isaac, est représenté les yeux bandés sur l’autel du sacrifice. C’est en pensant à cette représentation, que la photographe à fait une série sur ces footballeurs si particuliers : lorsqu’ils jouent, ces derniers se bandent les yeux, déjà aveugles, pour signifier leur égalité face à la lumière du jour.
Il n’y a pas chez elle la volonté encyclopédique du social que August Sandera pu mettre en œuvre dans ses portraits en noir et blanc au début du siècle dernier, bien qu’elle développe le même souci de la rigueur et de la constance. Elle n’opère pas non plus une classification des pratiques rituelles dans des corpus ethnographiques ou une documentation à la manière d’un Charles Freger qui montre comment les populations mettent en scène les démons en se déguisant.
Iwajla Klinke cherche à rendre visible ce qui n’est pas visible dans la pleine lumière de l’espace publique. Elle suggère plutôt par son titre, Hemeralopia, de familiariser sa rétine au secret des transformations des identités. Le sombre est partout mais il n’est pas tragique. Il est le propre de certains sujets comme l’aveugle footballeur. Il est volontaire comme chez la veuve de Hambourg. Il devient un attribut essentiel dans la décoration des jeunes garçons qui se transforment en tigres à l’occasion d’une journée de célébration de la nouvelle saison, qui se peignent le corps et performent dans les rues une sorte de danse urbaine ressemblant au breakdance new-yorkais des années 70, avec des figures acrobatiques au sol.
Avec Iwajla Klinke, la mutation étrange, les pratiques lointaines, le bizarre comme cet homme dont la barbe est formé d’abeilles deviennent respectables.
L’atmosphère intime et sombre de la crypte de Saint-Merry facilite l’accès à cette face cachée des sujets, quels que soient les âges ou les lieux de vie.
N’est-ce pas aussi la fonction des églises de permettre les introspections individuelles et l’examen des faces cachées et multiples de soi-même ?
Jean Deuzèmes
Site de l’artiste : http://www.iwajlaklinke.com
Vous désirez acquérir l’une ces photos :
Galerie Anne de Villepoix
18 rue du Moulin Joly, Paris 11,
contact@annedevillepoix
Une partie de cette somme sera donnée à Saint-Merry pour organiser les futures expositions et promouvoir de jeunes artistes.