Une construction esthétique de grande rigueur
Olivier Balvet a conçu un accrochage en 6 blocs d’une rigueur imparable, dont la base est le tableau carré de 80x80 cm, format exprimant la perfection et la stabilité, la terre et la modernité permanente.
Quatre blocs sont installés au-dessus d’autels du XVIIIe. Chacun est formé de quatre tableaux, très légèrement espacés pour respirer et conter leur propre histoire, autonomes mais reliés aux autres par le récit et le montage.
Les deux triptyques n’échappent pas à cette logique géométrique, mais ils relèvent aussi de la tradition de la peinture religieuse, dont Grünewald est une référence fondamentale pour Olivier Balvet.
Cette rigueur de la pensée se déploie dans les éléments d’une peinture dense, austère et dépouillée : des rectangles et des traits parfaitement rectilignes, dans une gamme très réduite de couleurs : blanc, gris et noir, celles d’ailleurs de Mondrian. Quel contraste avec les éléments décoratifs de l’église, la peinture classique, le rococo, la peinture figurative et prédicatrice du XIXe !
D’autres accrochages étaient possibles : un assemblage complet comme la célèbre Composition murale de Serge Poliakoff, sorte d’iconostase laïque (lire analyse de V&D >>>), ou à l’opposé sous la forme d’un chemin de croix traditionnel et méditatif, comme lors de son premier accrochage de 2013.
La forme choisie et pensée dans le détail pour Saint-Merry n’est pas dissociable de l’organisation écrite de son livret : six ensembles de commentaires d’une histoire commençant par un repas entre amis et se terminant 50 jours plus tard, la Pentecôte, auxquels l’artiste accole des extraits poétiques :
• Le dernier jour
• La condamnation
• Des rencontres
• La mort
• La vie
• Et après...
Un style distinctif
L’artiste a développé pour cette œuvre unique un style très spécifique avec ses tonalités, ses traits et l’orientation de ses bandes. À demi-mot, il murmure que, en art, sa mère pourrait être Maria Helena Vieira da Silva, cheffe de file du paysagisme abstrait, et son père, Jacques Villon, dont on a vu des chefs d’œuvre dans la récente exposition Cubisme au Centre Pompidou. Par sa rigueur plastique, il affirme être dans ce sillage centenaire ; en fait ses vraies racines sont ailleurs, dans l’art concret dont Mondrian est l’un des pionniers avec sa propre recherche de modification de la représentation du monde . On pourrait aussi associer Olivier Balvet à ceux qui ont suivi la voie spiritualiste de Geneviève Asse se restreignant à des bandes et des traits bleus, ou encore à ceux qui ont adopté la sérialité d’Aurélie Nemours utilisant des lignes horizontales et verticales, dans de véritables recherches géométriques colorées. Les grands rectangles en aplat de Jean-Pierre Pincemin, par lesquels il a revisité dans les années 70 la peinture classique tient trop de la déconstruction systématique portée par le mouvement Support-Surface, pour que Olivier Balvet s’y reconnaisse.
On serait surtout tenté d’associer PASSION aux quatorze toiles abstraites de Barnett Newman, « The Stations of the Cross : Lema Sabachthani » (1958-1966). Or Olivier Balvet ne connaissait pas encore ce bel ensemble du maître américain lorsqu’il a commencé son propre travail [3] !
Olivier Balvet ne peut nier ces rapprochements possibles, mais il en demeure éloigné. En effet, il ne revendique aucune radicalité formelle ; il rejette le conceptuel, trop intellectuel à ses yeux ; ses toiles ne sont pas abstraites ; il ne respecte pas le langage du minimalisme et ses tableaux sont pleins.
Sa peinture pourrait se prévaloir d’appartenir à l’art concret, mais elle s’éloigne de son Manifeste [4]
(1930) dans la mesure où PASSION est narrative et est construite sur un acte de foi. Elle est simplifiée à l’extrême, fortement structurée, construite et se revendiquant comme figurative, ce que rejettent les signataires du Manifeste, avec ses rectangles et ses couleurs correspondant à des codes précis de personnages ou d’attitudes dans les textes cités.
« Le blanc représente le Christ, l’Humain et la Vie, notre empathie et notre espérance, le noir l’Obscurantisme et la Mort, notre aveuglement, les divers gris sont à l’image de nous-mêmes, versatiles, écartelés entre la Lumière et l’Obscurité. »
L’artiste ne peut cacher sa culture mathématique et son goût pour une technicité rigoureuse. Il est dans la correspondance entre le visuel et le textuel.
Ses blancs, ses gris et ses noirs pourront paraître tristes à certains et pourtant ils ne le sont pas. Ils dansent et expriment les multiples composantes de la vie et de la relation humaine, avec ses richesses, ses joies et son tragique. Les textes de commentaire et les poèmes les font résonner.
Humaniste et spirituelle, la peinture concrète d’Olivier Balvet peut être perçue comme une série narrative, avec ou sans les textes. Son esthétique figurative et simplifiée recherche l’essentiel ; elle vise à transmettre une émotion, non débordante, cadrée par les limites mêmes des tableaux, loin de la peinture colorée du all over.
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**L’artiste souhaite faire don de cette œuvre unique à une institution capable de la montrer dans un espace adapté au sens qu’elle promeut. Voir et Dire relaie cette proposition.
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Les textes accompagnant les œuvres :
olivierbalvet.wordpress
olivier.balvet@orange.fr
Jean Deuzèmes