L’admiration que l’on peut avoir pour son œuvre est liée à sa maîtrise technique. Toutes ses photos prises à la chambre nécessitent du temps et beaucoup d’attention, de respect de ses sujets. Si le hasard intervient dans son travail, Véronique Ellena construit avant tout ses séries à partir de réflexions sur le monde qui l’entoure, sur les évènements qu’elle traverse. Photographe subtile du monde de la couleur, son talent est une évidence et la force de ses prises de vue est souvent construite sur leur frontalité. Son sens de la perfection photographique se poursuit jusque dans le tirage auquel elle participe.
Véronique Ellena est une fine observatrice de la vie quotidienne, des objets, des comportements, des paysages.
Elle a commencé par reconstituer des mythologies contemporaines dont elle révélait le sens profond. Elle ne cherche pas à évoquer directement le spirituel, mais c’est bien cette quête qui la porte, quels que soient ses sujets. Elle ne dénonce rien, même quand elle parle du social, elle se contente de mettre de la beauté partout. Elle densifie ce qu’on peut appeler la tradition, et c’est pourquoi elle a toute sa place dans un musée. Elle est picturale dans l’âme.
Si elle a travaillé sur le banal du quotidien dans son univers de Bourg-en-Bresse, c’est l’accès à la villa Médicis en 2007-2008 qui a été un moment fondamental pour son travail et sa reconnaissance. Dans ce lieu nimbé de lumière et de peinture —Balthus y avait été directeur— elle a simultanément rendu hommage à tout le personnel qui rend possible la vie des pensionnaires et fait de splendides natures mortes dans la grande tradition de la peinture.
Cette production tranchait avec les séries antérieures, celles des années 90, « Les grands moments de la vie », où sa famille servait de modèle et ses sujets étaient la société de consommation, la vie sociale dominicale. Elle recherchait déjà la beauté là où on ne l’attend pas.
D’une manière originale, elle puisait dans les maîtres flamands et Chardin mais aussi à la presse féminine des années 50-60 qui construisait l’horizon du bonheur de la génération des Trente glorieuses. Ses photos replongent malicieusement dans l’univers des super-marchés ou l’élaboration de recettes de cuisine.
Le loisir est devenu aussi un sujet : c’est en observant l’engouement populaire pour le Tour de France qu’elle a imaginé la motivation des cyclistes, ces héros des temps modernes, et qu’elle est partie à leur rencontre pour les photographier.
« Les classiques cyclistes » où le coureur apparaissait sous les traits d’un saint ont inspiré ensuite une autre série, « Ceux qui ont la foi », entendons ceux qui construisent toute leur vie sur un idéal qu’il soit religieux ou non.
Ses séjours postérieurs en Italie l’ont ancré dans la lumière et lui ont permis de traiter simultanément de la rigueur de l’architecture baroque ou classique et la question des Sdf.
Ses clichés faits à l’aube aux portes d’églises de personnes enveloppées de couvertures transforment ces silhouettes en nouvelles sculptures, leur redonnant beauté et dignité, « les invisibles [2] ». Ses corps physiques sont dans la lignée du corps social qui l’avait occupée tant d’années.
La rigueur de sa photographie est à l’origine de commandes photographiques d’architecture et de villes comme le Hâvre où elle a su introduire des sujets : les beautés formelles dialoguent, avec des touches à la Edward Hopper.
A l’occasion du déménagement de la maison de ses parents, nouvelle orientation : avec « Les choses même » et « Zia Maggiore », elle a replongé dans l’univers de son enfance. Son approche de la nature morte se fait alors mémoire personnelle, pleine de tendresse et d’originalité dans les prises de vue.
Puis, fatiguée par ces rapports humains aussi intenses, elle s’est tournée vers le paysage, toujours pour y trouver de la beauté.
Une exposition à la Maison Château Briand (92) a été l’occasion de parcourir le parc et de déceler les multiples détails de la nature.
Dans les années 2010, nouveau virage : elle obtient la commande d’un grand vitrail, le vitrail des cent visages, pour la cathédrale de Strasbourg de plus de 7 m de haut où la photo, à la fois des visages et des éléments de nature, est intégrée entre deux couches de verre.
Cette période d’expérimentation sur le verre est particulièrement riche, car c’est à l’occasion d’un essai non concluant qu’elle a découvert la richesse de coloris des négatifs, en les scannant et en les agrandissant à la talle qu’elle souhaitait. Elle retrouvait l’émotion éprouvée devant les premières techniques de la photographie. Les nouvelles technologies lui ont permis de ré-explorer son corpus et de faire des impressions photographiques spectrales, mystérieuses et belles : « Les Clairs-Obscurs ».
Enfin, elle a poursuivi ses recherches avec son maître-verrier et a réussi à intégrer des photos directement dans la matière, produisant un petit vitrail floral La Vigne du Clos qu’elle a offert au musée Réattu, puisque c’est sur ce principe du don que se constitue la collection permanente de cette institution municipale.
Cette rétrospective, sous forme de parcours dans le musée, est un plaisir des yeux et une belle occasion de découvrir ou redécouvrir, une photographe d’une grande sensibilité de coloriste qui prend goût à l’expérimentation. D’autres rétrospectives ne pourront que suivre dans les prochaines années, tant elle renouvelle ses séries.
Jean Deuzèmes
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