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Thu Van Tran. Maidday



Entre carton solarisé et caoutchouc, une œuvre formellement belle, simple dans sa construction, qui par son silence évoque pourtant une lutte sociale. Galerie Saint-Séverin < 30-09-18

Sous ses aspects minimalistes, un carré bleu de type photographique, un autre jaune dans une matière indécise au premier abord, l’œuvre de la plasticienne vietnamienne, dont le matériau familier est le caoutchouc, se découvre depuis la rue dans une grande étrangeté, par le titre et l’organisation formelle.

La simplicité de son apparence et le dépouillement esthétique sont trompeurs. En effet, c’est une mise en scène de traces qui attisent le questionnement habituel en art contemporain. En observant avec attention, on découvre des pas et des bords de morceaux de carton dessinés dans les deux formes jaune et bleue. Ces empreintes viennent de loin, car elles ont été laissés par des salariées à domicile nées à Manille et travaillant à Hong Kong.

Chaque dimanche , le seul jour qu’elles ont de libre hors de leur employeur, elles se rassemblent par milliers dans les jardins et souterrains du centre-ville ; elles apportent avec elles des cartons qu’elles étalent sur l’espace public pour s’y asseoir pour se rencontrer et discuter. C’est à la fois une expression de leur sociabilité et une protestation pacifique contre leur surexploitation, leur propre forme de lutte sociale et politique (lire article du Guardian). Elles font partie de la « facette touristique » par ses couleurs et son caractère bon enfant alors que les Hong Kongais voudraient cacher cette réalité.

Thu Van Tran, qui a ramassé et gardé des cartons, condense ainsi ces réalités sociales et soutient le regroupement de ces femmes avec deux simples taches colorées obtenues techniquement différemment. Le bleu provient de solarisations successives des cartons ; le jaune est le résultat de séchage d’une couche de caoutchouc liquide qui, répandu sur les cartons, révèle la forme des pieds.

Les matériaux dont l’artiste a une grande maîtrise technique sont les outils du témoignage, comme, ailleurs, les tracts laissés au sol après des manifestations .
L’étrangeté du titre est à l’unisson puisqu’il s’agit à la fois du « jour des personnels de maison » mais aussi, phonétiquement, du « jour de mobilisation ».
Jean Deuzèmes

Le point de vue de l’artiste

« Il eût suffi d’yeux plus ardents pour y voir » (Philippe Jaccottet, A la lumière d’hiver)
« L’idée du rejet, de l’équilibre et du dévoilement est au cœur de l’exposition, qui a pour titre Maidday, nom du rassemblement silencieux d’une communauté de femmes à Hong Kong. Il prend la forme d’un photogramme qui semble abstrait mais dont l’origine est chargée. J’ai insolé des cartons provenant de ce sitting féminin silencieux. Ces femmes, domestiques, sont traditionnellement cachées de la vue à Hong Kong, car elles ne correspondent pas à l’idéal que la ville souhaite véhiculer. Alors tous les dimanches elles se montrent à nous. C’est un sitting devenu un rendez-vous... une vitrine pour elles. » Thu Van Tran

Le point de vue de la commissaire

« L’image indirecte, agie par le soleil, de ces femmes indésirables dans l’espace public est présentée face à nous, faisant de la vitrine une tribune politique dans l’espace public, mais aussi un appel à la délivrance comme l’indique phonétiquement le titre. Comme souvent dans le travail de Thu Van Tran, l’image est une empreinte qui vient transfigurer un contenu politique en un geste de cristallisation et d’écriture, objet intermédiaire de méditation, de délectation et d’engagement. Le photogramme, photographie absente chérie des surréalistes et ramenée à ses origines, est détourné au service d’une imagerie sociale elle-même affranchie de l’esthétique documentaire ou humaniste. De cette collision surgit la force paradoxale de l’image : ni fantôme, ni corps, mais trace au-delà, à la manière du Voile de Véronique. Étrangement, c’est une lumière bleue d’hiver qui semble s’allumer dans l’été : son éclat profond offert au dévoilement, mais aussi laissé à l’état d’opacité poétique.  »
Alicia Knock

Thu Van Tran

Née en 1979 à Ho Chi Minh Ville, Thu Van Tran vit aujourd’hui à Paris. Son travail a récemment été présenté à la dernière Biennale de Venise, au Moderna Museet ou encore au MAMAC.
Elle est représentée par Meessen De Clercq (Bruxelles), et prépare pour 2019 sa première exposition personnelle à la galerie Rüdiger Schöttle (Munich).
Se fondant sur une diversité de techniques et de matériaux, de l’écriture à la sculpture en passant par le film, Thu Van Tran se nourrit de sa propre expérience d’outsider – femme vietnamienne vivant en France – pour explorer avec incarnation, imaginaire et force plastique la question du déplacement tant physique que culturel ; notamment au travers de l’histoire coloniale, du déterminisme primitif ou social, de la survivance des langues. Sujets pertinents tant ils font écho au climat d’incertitude et d’exil de notre présent.
Son travail prend la forme de compositions sémantiques ou sculpturales qui s’inscrivent aussi bien dans les champs discursifs que contemplatifs.

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Du 6 juillet au 30 septembre 2018. Une exposition visible jour et nuit, 4 rue des Prêtres-Saint-Séverin, Paris 5e. M° Cluny-la-Sorbonne, Saint-Michel.

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