Construction/Destruction : le projet de l’artiste
Entre architectures mathématiques et industries mécanisées, les productions humaines rivalisent de symétrie et de régularité. Mais que deviendraient nos architectures et nos rêves de gloire, cathédrales baroques ou gothiques une fois livrés à eux-mêmes ? À un moment clef du processus de création, mon geste s’arrête et laisse la matière achever la forme. La nature reprend alors ses droits et, sous la pression de la terre qui se rétracte, crée failles et ruptures, nous menant de la presque symétrie à la totale dissymétrie, de la construction à la déconstruction, voire même à la destruction.
Cet ensemble de « formes habitables » accidentées suggère alors des pistes de perdition : elles sont l’absence, l’épuisement, la vulnérabilité. Ces restes sont-ils les ruines d’une antique cité engloutie ou le simple paysage contemporain d’un monde en guerre ? L’installation, en faïence et carton, est par sa condition éphémère une métaphore de la précarité, en réponse à une société en perpétuel renouvellement où tout se construit et se déconstruit de plus en plus vite. Que pourra-t-il éclore de ce dynamitage des schémas culturels, des frontières, des paysages ?
En interrogeant le temps de la décomposition, massivité et fragilité sont ici conjuguées comme métaphore possible de la sculpture elle-même mais aussi de notre époque.
Jeanne Rimbert
http://jeannerimbert.wixsite.com/sculpture
Questions à l’artiste
V&D : Pourquoi la sculpture dans votre démarche artistique ?
JR : La sculpture est une manière de fossiliser un instant imaginaire au sein d’une réalité physique. Les espaces intérieurs et les paysages extérieurs que je traverse sont, au hasard des découvertes, les déclencheurs de mon travail d’installation.
Je transforme ainsi l’espace, en créant pour lui un imaginaire, mon imaginaire, que j’y installe.
Utilisant la faïence ou le grès, je cherche par mon travail à questionner la place de la céramique dans l’art contemporain. Médium récemment revisité, la terre devient tour à tour peinture, sculpture, installation, architecture ou encore performance.
Je déstructure et restructure des visions composites, des fragments, modelant ainsi de nouveaux paysages. De nouveaux univers, qui oscillent entre le souvenir de ce qui a été et l’espoir de ce qui sera.
V&D : Pourquoi la céramique ? Qu’est-ce qui préside au choix de ces formes et à leur ordonnancement ?
JR : J’aime la céramique pour la dualité inhérente à sa matière : elle est à la fois pérenne, pouvant traverser les siècles, et extrêmement fragile, pouvant se briser à tout moment. C’est cette dualité que je mets en valeur dans mon travail.
Les formes que j’ai choisies pour construction / destruction sont géométriques et assez abstraites [1] : elle suggèrent, plus qu’elles ne montrent, une ville qui pourrait aussi bien être la ruine d’une vaste cité antique engloutie que le paysage d’un monde en guerre. Les volumes sont placés de manière ordonnée, selon une logique qui m’est propre, afin de former un tas, comme une sorte de terrier humain.
V&D : Pourquoi en êtes-vous venue à vous intéresser à l’architecture ?
JR : Je m’intéressée à l’architecture de manière tout d’abord indirecte. Je vois mes architectures, qu’elles soient humaines ou naturelles, comme des habitations, des refuges. C’est le concept de protection face aux éléments extérieurs qui m’intéresse dans l’architecture. Ensuite, ces habitations peuvent être perçues comme des terriers (Kafka), un nid ou, comme c’est le cas ici, une abstraction de ville.
V&D : Pourquoi vouloir exposer dans une église ?
JR : Travaillant essentiellement l’installation, j’aime confronter mon travail à différents types d’espaces et mettre en exergue similitudes et dissonances. Construction / destruction est une sorte de vanité, qui pose la question de l’héritage que les civilisations laissent sur leur passage. Nos bâtiments d’aujourd’hui seront-ils les ruines de demain ? Les églises sont des lieux de spiritualité qui nous incitent à nous interroger sur notre finitude.
V&D : Il y a du tragique concernant l’existence et le devenir urbain. Est-ce volontaire ?
JR : L’installation peut en effet être perçue comme une critique de l’urbanisation excessive et, plus généralement, de la propension de l’être humain à détruire son environnement naturel pour s’enfermer dans un habitat recréé de toute part.
V&D : Cette œuvre est-elle un reflet de vous ?
JR : Je ne me sens ni fracturée ni vulnérable si telle est la question, je ne m’identifie pas de manière si directe à mon travail. Mais il est vrai que je m’interroge systématiquement sur les vanités et sur ce que le défaut révèle de beau dans l’être humain.
V&D : Dans votre œuvre tout compte et a un sens. Il n’y a pas que de la céramique !
JR : Oui. Le choix des matériaux est important car il fait écho au concept :
– céramique biscuit et émaillée / faÏence et grès (le traditionnel, l’antique)
– cartons et poussière de terre (l’industriel, le produit en série, le non pérenne, le destructible, le consommable)
– bois (socles)
– peinture (l’industriel)
– moquette (l’industriel)