Dominique Renson s’exprime dans trois séries composées pour le lieu : « Passions, Cérémonies, Christ dans la ville ». Dans un style figuratif et réaliste, elle travaille avec des modèles dont les visages, les corps et les poses non conventionnelles expriment les personnalités, à fleur de peau. En faisant référence aux chefs d’œuvres classiques, elle évoque des questions humaines très contemporaines, souvent traversées par le religieux.
Une exposition
Un premier regard sur les œuvres
Dominique Renson. Visages de l'émotion. Exposition à Saint-Merry. 24 mars-15 avril 2018 from Voir & Dire on Vimeo.
La vérité implicite et inquiète des œuvres de Dominique Renson est paradoxalement amplifiée par la présence dans l’église d’immenses toiles narratives, catéchétiques où les corps sont modelés d’une tout autre façon et qui, elles, rassurent car ce ne sont que des histoires fabulées. Les unes aident à découvrir ou à redécouvrir les autres.
L’artiste, née à Paris en 1956 et travaillant à Paris et à Lipsi (Grèce), est résolument moderne et n’a pas besoin de construire un récit ou d’imiter le religieux ; elle aborde autrement ce dernier, en partant du tréfonds de la femme et de l’homme.
En montrant des corps, son « ecce homo » prend racine dans l’humain et la vie contemporaine, laissant le spectateur libre de relier ce qu’il vit et ressent à du spirituel, s’il le souhaite. Honnêteté de l’artiste qui espère peut-être que le visiteur se risquera à l’introspection. Mais elle reste dans la peinture : « Quand je rentre en peinture, c’est comme lorsque l’on rentre en religion. Et tant pis si j’ai gâché bien du temps avec mon ouvrage artistique. Une fois rentrée en peinture, je me suis retrouvée habitée, entière. »
Un contexte, une démarche
Alors que dans un contexte de désenchantement du monde, le religieux inonde l’espace public, alors que pour des églises qui se vident lentement, des recherches souvent peu concluantes tentent de réinventer l’art sacré, il émerge un art contemporain qui réexplore ces questions en toute autonomie, en partant de points les plus divers, l’imaginaire, les mythes (cf. l’actuelle exposition de Myriam Minhidou à la Galerie Saint-Séverin), la performance, le Street art, etc. Toutes ces initiatives ont un point commun : l’artiste et ses questionnements, qu’il soit chrétien ou non.
En 1920, Jacques Maritain, dans Art et Scholastique, demandait déjà aux artistes « de ne rechercher aucune règle, aucune technique, aucun style spécifiquement chrétien. »
Dominique Renson est une artiste de grande culture dont les thèmes récurrents sont le visage, terme qu’elle préfère à portrait, les corps, les nus, les marginaux ; elle choisit des modèles parmi ses amis ou dans la rue pour la personnalité qui émane de leur manière d’être [2]. C’est la vérité de la personne ou des personnes qui l’intéresse.
« Les personnes que je choisis de peindre sont des personnes que je connais et dans la peau desquelles j’ai envie de rentrer.[…] C’est deviner des choses chez ces personnes, mais des choses qui se passent aussi à l’intérieur de moi. Car regarder l’autre comme ça, droit dans les yeux, sans aucune anecdote, en essayant d’aller au plus profond de son être, c’est finalement se regarder soi-même. […] J’aime les têtes d’hommes et les corps de femmes. Les visages d’hommes ont une structure osseuse qui m’intéresse. Par contre les corps de femmes dégagent une sorte de lumière, quelque chose de très troublant. »
Humain ou religieux ?
« Passion, Cérémonie, Christ dans la ville » : ces titres ne semblent laisser aucun doute sur la nature des œuvres dans ce lieu, bien que les deux premiers termes relèvent simultanément de deux registres différents, l’humain et le religieux. La plupart des toiles ont été faites dans l’atelier bien avant le projet Saint-Merry et indiquent simplement que l’artiste peint avec certaines références qui puisent dans la grande peinture du passé qui, elle, était empreinte d’une culture religieuse. Curieux chassé-croisé avec l’actuelle exposition Tintoret au musée du Luxembourg où les sujets sont bibliques, mais traitent de réalités humaines triviales, le meurtre, la séduction, les conflits. Dominique Renson est aussi franche avec des sujets qui sont bien humains et universels (la mort, la joie maternelle, la douleur, la mélancolie, le repas entre amis) que lucide avec elle-même : elle peint sans concession, jusqu’à elle-même en gisante, mais affirme aussi qu’elle a trouvé les mêmes sujets dans ses lectures de l’Évangile.
Elle ne démontre rien ni illustre quoi que ce soit : elle se contente de rapprocher. Elle s’invite au milieu de peintures d’église qui ont des charges émotionnelles différentes et oubliées, tant on a perdu les références des tableaux.
Comme l’indique Catherine Charvet, de l’Accueil de Saint-Merry : « L’artiste n’a pas de sens à transmettre, mais elle montre ce qu’elle voit, des individus dans leur singularité, peints avec un réalisme réduit à l’essentiel. Il apparaît surtout que ces figures et portraits nous bouleversent par l’intensité des émotions et encore plus par ce que nous ressentons du profond respect de l’artiste pour ces individualités ainsi représentées et c’est peut-être cette humanité non pas magnifiée, mais honorée, célébrée qui est en soi message d’espoir. »
Dérangeante, donc ; mais pas scandaleuse. Lire article V&D : "Quand des œuvres à thématique religieuse dérangent ou font scandale" >>>
**Passion
Dominique Renson. Passion (série de peintures) from Voir & Dire on Vimeo.
« L’homme se définit beaucoup lors des crises : Compassion, Solidarité, Amour
J’ai voulu rendre compte de ces états émotionnels à travers une série d’huiles sur toile, de moyenne dimension. »
• Un triptyque : Le cri [3] (une peinture qui « s’entend »)
• Un diptyque : Compostelle (un mathématicien exprimant sa jubilation à la fin du pèlerinage)
• Un diptyque : Amour (la joie, une extension du style des madones à l’enfant)
La frontalité, l’expression à vif des émotions et les fonds signent la modernité de l’artiste. Ses tableaux positionnés en hauteur comme des apparitions trouvent une résonance particulière dans cette église.
**Cérémonie
Dominique Renson. Cérémonie (série de peintures) from Voir & Dire on Vimeo.
« La première fois que je suis allée au Prado, j’ai eu un choc émotionnel en voyant "les Parques de Goya”. On a l’impression que les personnages flottent dans le paysage - espace.
Abstraction, figuration ?...
On m’a souvent dit que pour ma série Cérémonie, on avait aussi l’impression que mes personnages flottaient. Il n’y a pas de perspective, seulement un grand fond noir et mat [4] »
Quatre huiles sur toile de grand format :
• Christine et Sean, deux modèles d’atelier qui ont adopté spontanément cette posture de joie le jour de l’investiture d’Obama.
• Les hommes las de vivre, est un groupe masculin composé sur le thème de l’immobilité, chacun dans ses pensées, qui peut être lu au prisme d’une mélancolie du monde contemporain, alors que le bâtiment a comme fonction, au contraire, d’exprimer une condensation des sens humains et religieux.
• Sans titre, une vaste composition de trois personnages froids, tragiques, qui évoque celle des pietàs et peut-être celle de Villeneuve-lès-Avignon peinte par Enguerrand Quarton (1454-1456).
• Mystico deipno, est une version convaincante de Cène contemporaine (lire article de V&D>>> ), qui représente une réunion animée d’amis, avec ses discussions par mini groupes, les mains et les corps parlant pour eux, l’homme au centre est seul, il regarde dans un hors champ. Les chaussures de sport qui dépassent les inscrivent dans le temps d’aujourd’hui. Mais tout semble suspendu dans un ailleurs blanc.
• Autoportrait en gisant
L’autoportrait a été réalisé dans une phase difficile de la vie de l’artiste. Il est dans le sillage explicite du Christ mort d’Holbein, peint au XVIe pour la cathédrale de Bâle à partir de la figure d’un noyé. Mais alors que le tableau séminal est très étroit, son cadre faisant figure de cercueil, cet autoportrait s’en distingue stylistiquement par une moitié supérieure noire, centrant formellement la vision sur l’artiste-sujet et accentuant le sentiment de menace.
Le titre de cette série fait référence à Nadar qui demandait à ses modèles de venir avec leur costume de cérémonie. Photographie vs Peinture !
Deux éléments unissent la plupart des tableaux : un banc, donné par l’église proche, et largement usé par des paroissiens avant de devenir central dans l’équipement de l’atelier ; les fonds monochromes qui suppriment tout contexte et focalisent le regard sur le sujet.
**Christ dans la ville
Dominique Renson. Christ en ville from Voir & Dire on Vimeo.
« Le point de départ est la peinture du Christ de Rembrandt exposé au DIA de Detroit. J’ai été frappée par le caractère humain du Christ, loin des idées reçues du Jésus stéréotypé. Après avoir vu la peinture de Rembrandt, je me suis posé la question : Quel visage aurait le Christ aujourd’hui ?
À travers un ensemble de visages, j’essaye d’exprimer les différents aspects du caractère du Christ : son humilité, sa douceur, sa vulnérabilité, sa marginalité, ses préoccupations profondes. »
• Une série de 18 huiles sur toile de petit format. [5]
Jean Deuzèmes Commissaire de l’exposition
Pour aller plus loin
– site de l’artiste
– une analyse de l’ensemble de l’œuvre de l’artiste par le critique Paul Ardenne
– une autre analyse de l’exposition par une des responsables du groupe d’accueil de Saint-Merry qui a participé à l’élaboration de l’exposition.
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Messages
1. Dominique Renson. Visages de l’émotion , 28 mars 2018, 20:57, par jacqueline casaubon
Une expo qui m’a saisie, une de mes préférées qui habite St Merry pour qq jours. Nous avons notre place dans chaque tableau, c’est vous, c’est moi, c’est notre humanité dans toutes ses situations, nous nous y retrouvons. Je remercie l’artiste Dominique Renson qui m’ a donné à voir de quoi m’émerveiller par son oeuvre d’une grande sensibilité. Vraiment une visite à ne pas manquer…
Jacqueline Casaubon