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Cy Twombly. Centre Georges Pompidou



La grande rétrospective d’un peintre qui a fait le pont entre culture européenne et américaine, entre mythologie et actualité, entre abstraction et expressionnisme.

Cy Twombly. Sans titre (Camino Real) 2011

De Cy Twombly (1928-2011) on ne connaissait généralement que des tableaux isolés, de grand format, construits sur des lettres et des phrases proches du graffiti, vides ou saturés, d’une complexité onirique déroutante ou fascinante avec des titres faisant référence à de grands mythes.

L’artiste considéré comme un des plus grands artistes de la seconde moitié du XXe restait cependant discret. L’exposition de Beaubourg, cent quarante prêts exceptionnels —peintures, sculptures, dessins et photographies dont beaucoup jamais exposés en France—, est unique : elle permet de comprendre à la fois comment l’artiste concevait ses toiles et comment il a ouvert fermement une trajectoire artistique dans un entre-deux de multiples notions.

Il fallait les espaces du Centre Beaubourg et une approche chronologique pour rassembler des toiles de si grande dimension, pour les situer dans de grands cycles et pour faire comprendre la continuité de l’œuvre, sensuelle et savante, d’un artiste lettré.

Premier regard video sur l’exposition (Arte -2’)

Lorsqu’en 1952, Cy Twombly, alors âgé de 24 ans, fait une demande pour voyager en Europe, il la justifie par son désir « d’étudier les dessins des caves préhistoriques de Lascaux » et dit être attiré par le « primitif, les éléments rituels et fétichistes, et l’ordre plastique symétrique ».

Cy Twombly. Nini’s Painting, 1971

Doté d’une bourse de l’école expérimentale du Black Mountain College, il invite son ami Robert Rauschenberg à l’accompagner. Ensemble, ils découvrent l’Europe et l’Afrique du Nord. A son retour, il exécute ses premières toiles, couvertes à saturation d’écritures indéchiffrables, sur fond blanc, avec de la peinture industrielle. Les bases de son œuvre à venir sont posées.

Cy Twombly. Quattro Stagioni, 1993-1995

Fasciné par le monde méditerranéen, il s’installe à Rome en 1959, au plus près des lieux de la culture et des mythes passés, et fait des grands textes grecs et romains la source de son inspiration. Immense lecteur, il puise non seulement dans Hérodote mais aussi dans Goethe, Mallarmé, Rilke, ou encore Richard Burton et un poète mystique perse du XIIIe siècle. Mais il revient chaque année aux USA et peint dans les ateliers de ses amis les tableaux pensés en Europe. Il n’est pas isolé de son pays d’origine, il se positionne par rapport à l’art contemporain qui s’y forme.

Cy Twombly. Sans titre (Lexington) 1951

Esthétiquement, il est l’héritier de l’expressionnisme abstrait, alors qu’à la même époque les Américains lui tournent le dos en choisissant le minimalisme et le conceptuel. Il ne sera pas compris et réagira en produisant des tableaux d’une radicale austérité à la mine de plomb.

Cy Twombly. Commodus, 1963

Ensuite, en puisant dans l’histoire ancienne, en la réinterprétant par des couleurs, des mots, des gestes il accomplit un travail analogue à celui des peintres du XVIIe ; il réinvente la peinture d’histoire avec les moyens de son temps et sa gestualité, comme le montrent ses trois cycles :
  Nine Discourses on Commodus (1963) exécuté après l’assassinat de JF Kennedy. L’empereur qui ne pouvait gouverner sans faire un usage démesuré des assassinats est largement évoqué avec des gestes vigoureux à la couleur rouge

Cy Twombly. The Vengeance of Achilles, 1962

- Five days at Iliam (1978) est inspiré de l’Iliade. La lettre A évoquant la force virile d’Achille, l’artiste restitue la brutalité de la guerre, pendant caché de l’héroïsme.

Cy Twombly. Coronation of Sestoris, 2000

- Coronation of Sestoris (2000) ouvre un cycle de peintures lumineuses, d’abord dominées par des teintes solaires avant de s’achever dans le noir et blanc, selon le bien connu parcours de la barque du dieu Râ.

Dans sa dernière période, Cy Twombly démontre une puissance de vie, dans de très grands formats colorés où la peinture déborde et coule, recréant des impressions aussi fortes que les bouquets à Giverny de Monet.

Cy Twombly. Commodus, 1963

Ce qui singularise ce peintre lettré est un usage des lettres et des mots qui a été splendidement décrit par Roland Barthe :
« La lettre chez TW —le contraire d’une lettrine— est faite sans application. Elle n’est pas enfantine, car l’enfant s’applique, appuie, arrondit, tire la langue ; il travaille dur pour rejoindre le code des adultes. TW s’en éloigne, il desserre, il traîne ; sa main semble entrer en lévitation ; on dirait que le mot a été écrit du bout des doigts, non par dégoût ou par ennui, mais par une sorte de fantaisie ouverte au souvenir d’une culture défunte, qui n’aurait laissé que la trace de quelques mots. »

Cette riche exposition dévoile deux autres parts peu connues de ce peintre, la sculpture et la photo qui l’ont accompagné toute sa vie (voir portfolio) :
  La première est faite de morceaux de bois et de débris rejetés qu’il dresse en ruines pleines de dignité, et recouvertes de peinture blanche, « son marbre » comme il l’aide à le dire.
  La seconde rappelle les tableaux de Morandi et son sens de l’immuable et d’une certaine tradition. Cy Twombly sert un apparent grand classicisme, à la différence de ses tableaux, mais il exprime aussi un goût pour le flou dans son regard sur les fruits, les arbres, ou d’autres éléments de nature.

Cy Twombly. Fifty Days at Iliam, 1978

Ainsi, le Centre Beaubourg montre un peintre abstrait, très longtemps incompris, à contre-courant des orientations dominant son époque aux États-Unis, racontant des histoires avec plusieurs strates de lectures possibles. De la non-couleur des premières salles au feu d’artifice des dernières : « Après s’être employé à détruire la peinture et à la piétiner en rythme, Twombly la ressuscite par étapes  » aime à dire le critique Claude Dagen.

Cy Twombly. Blooming 2001-2008

Par sa peinture, il n’a cessé de vouloir rompre et pourtant il n’est pas éloigné de son temps, il reprenait l’énergie de l’expressionnisme abstrait d’un Pollock, tout en s’en moquant et en la nourrissant d’une philosophie de l’histoire, anticipait la recherche du degré zéro de la peinture que l’on a connu dans les années 70, se refusait au minimalisme pour affirmer la force du medium peinture. Par sa culture il faisait figure de dandy éloigné de son pays qui célébrait alors la vision critique de la consommation avec le pop art, tout en en reprenant la vitalité dans l’expression de la couleur.

Jean Deuzèmes

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