Un itinéraire, une exposition mise en perspective
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"De l’autre côté" : Onze œuvres
Saint Luc peignant la Vierge et l’Enfant, avec saint Augustin, saint Jean-le-Baptiste et saint Thomas d’Aquin
2017, Huile sur toile, 285 x 230 cm
Patron des médecins, saint Luc est aussi patron des imagiers (peintres et sculpteurs). Aussi le peindre est devenu progressivement synonyme d’hymne à la peinture, notamment dans la tradition flamande.
Au lieu de la représentation classique du peintre représentant sur son chevalet une Vierge à l’Enfant, Maxim Kantor donne à voir une Pietà, non peinte, mais dessinée. En effet,
il pense, comme les artistes de la Renaissance, que le dessin (disegno) est l’art suprême.
Autour de lui, non des commanditaires, mais sa famille, sa femme, un enfant qu’il n’identifie pas à son fils, son père et deux amis qu’il aime. Dans ce type de peinture codée, les peintres représentaient leur atelier, Maxim Kantor, lui, peint l’environnement de l’île de Ré (couleurs, arbres, végétation) et identifie le milieu insulaire à son atelier.
Résurrection
2017, Huile sur toile, 285 x 230 cm
Pour Saint-Merry, dix ans après son premier tableau de crucifixion, Maxim Kantor a peint pour la première fois une Résurrection, mais sans reprendre l’iconographie traditionnelle. Il peint un homme, seul, décharné comme après un temps de souffrance, nu, avec un simple périzonium. Ses mains, sur les rames, sont proches du corps, évoquant les descentes de croix. Contrairement aux personnages de bon nombre d’autres tableaux de Maxim Kantor, l’homme ne regarde pas le visiteur, il est ailleurs. L’homme passe d’une rive à l’autre, comme dans le mythe ancien du Styx. La mer et le ciel se confondent. La barque a les contours d’une mandorle, le cadre traditionnel de la représentation du Christ en gloire. Résurrection est l’expression d’une expérience personnelle de l’artiste, le passage, ou étymologiquement la Pâque. Il a en effet quitté définitivement son pays d’origine, la Russie.
La symbolique utilisée par Maxim Kantor est multiple mais le corps occupe une place centrale, la mandorle-barque étant une traduction du qualificatif glorieux utilisé en théologie. Le caractère très concret du tableau renvoie à la fois au vécu intime et récent de l’artiste ainsi qu’aux récits des apparitions dans les Textes qui insistent sur la corporéité du Ressuscité.
Aller plus loin dans l’interprétation
Grande rosace : Saint Georges et le dragon
2017, Huile sur toile, 250 x 270 cm
Au centre de Merry Cathedral, le tableau offert à Saint-Merry, une rosace colorée, l’humanité dessinée en noir et blanc cheminant autour. Maxim Kantor, intrigué par la grande rosace de Saint-Merry, faite de simple verre blanc et cachée par l’orgue, a imaginé ce qu’aurait pu être ce vitrail dans l’esprit du lieu.
Grande rosace : Saint Georges et le dragon est une allégorie, politique
et religieuse, s’appuyant sur le livre de l’Apocalypse : la victoire de la foi sur le démon.
Ce tableau est significatif de l’orientation suivie par l’artiste depuis cinq ans, « le nouveau bestiaire », ainsi qu’il la dénomme, marquée par son attrait pour les dragons et démons du Moyen Âge. L’enjeu n’est pas esthétique, mais moral et politique. On reconnaît dans la figure de crocodile dragon, une figure bien connue.
La fuite en Égypte
2016, Huile sur toile, 230 x 170 cm
Le sujet a été maintes fois abordé : la fuite en Égypte de Marie, Joseph et l’Enfant pour échapper à la haine du roi Hérode. Généralement, les protagonistes occupent la majeure partie du tableau ; ici ils sont minuscules.
Le désert est remplacé par une ville gigantesque à la forme de tour de Babel rouge, menaçante avec ses gargouilles, une sorte de métropole aux escaliers et voies rappelant les constructions impossibles de Escher. Les personnages en fuite ont choisi le chemin de droite qui monte vers le seule issue possible : une ultime terrasse en forme de Golgotha.
En bas du tableau, un bâtiment qui rappelle ceux du Collège Pembroke, à Oxford où Maxim Kantor est Honorary Fellow. Au premier plan, des animaux propres à son « nouveau bestiaire ». La satire porte sur des collègues du Collège, représentés en ânes portant toque universitaire, mais aussi en cochons. Ils discutent, sous le regard critique de saint Jérôme accompagné de son lion, érudit et patron des bibliothécaires, et ils ne voient pas le drame qui se joue auprès d’eux : celui des réfugiés qui est le sujet caché derrière cette fuite en Égypte.
Les réfugiés
2014, Huile sur toile, 220 x 240 cm
« Le plus important, c’est que le langage de la résistance ne relève pas d’un vocabulaire social, ou sociologique, ou idéologique. Il convient de résister non pas au mensonge (cela va de soi et c’est simple) mais à l’humiliation des faibles... » (Maxim Kantor 2005)
En se peignant en rouge, au milieu de sa famille, tous nu-pieds, dans le dénuement, lacérés de traits colorés, il s’identifie à ces hommes aux regards angoissés, qui ont la rage de vivre et avancent coûte que coûte comme le signifient leurs mains orientées vers l’avant, vers le futur.
Les comédiens ambulants
2015, Huile sur toile, 196 x 306 cm
Ce tableau de groupe, très subtil par ses couleurs, aborde la migration, non l’exode des réfugiés qui relève d’un autre registre social et politique, mais l’expérience intime de l’artiste.
L’idée est commune chez les grands peintres : rassembler ses relations, sa famille ou ses collègues dans un endroit emblématique — l’atelier, le café, la maison — et faire un tableau de groupe répondant à des visées précises sur l’art et la société. Maxim Kantor qui ne représente précisément que ses très proches va ici au-delà de ce cercle habituel : ce sont ses amis les plus chers, de pays différents, qu’il rencontre souvent et avec lesquels il échange abondamment. Tous partagent l’amour des livres, essentiel pour ces intellectuels dont ce sont les seuls bagages, en référence au destin que portent symboliquement les migrants dans les tableaux peints par d’autres artistes.
Ces personnes marchent, elles migrent comme l’ont fait le grand-père juif de Maxim Kantor parti pour l’Argentine, son père revenu à Moscou et lui-même qui a renoncé à rester citoyen russe en 2015. Il a rompu avec toutes ses racines et se trouve dans la position de l’exilé.
La tour dans la forêt
2016, Huile sur toile, 180 x 280 cm
La tour de Babel est un sujet récurrent dans l’œuvre de Maxim Kantor.
Ce tableau très graphique et plein de mouvement est dominé par deux couleurs primaires intenses, le vert et le rouge, traduction chromatique d’une confrontation. Une ville-cathédrale, avec clochers et toits en bulbe, rouge de la force de l’espérance, solidement fondée dans le sol, résiste aux vents, à la tourmente et aux tremblements de terre. Elle se dresse au milieu d’arbres, sans feuilles, noirs ou calcinés, symbolisant, comme dans d’autres œuvres, une humanité vide de spiritualité. Symboliquement, l’artiste affirme que la force de la foi chrétienne résistera au mal.
Le bateau ivre
2016, Huile sur toile, 170 x 180 cm
L’océan qui gronde autour de l’île de Ré lors des tempêtes et des grandes marées inspire à Maxim Kantor de nombreux tableaux remplis d’émotion.
Si le titre, Le bateau ivre, peut évoquer le fameux poème d’Arthur Rimbaud, il faut plutôt associer ce tableau à celui de Jérôme Bosch, la Nef des fous ou aux illustrations par Albrecht Dürer du poème de Sébastien Brant. Mais chez Maxim Kantor le ton n’est ni ironique ni moralisateur : l’homme est en danger, l’Europe aussi.
Plusieurs interprétations s’entremêlent pour ce tableau presque carré dont le cadrage n’est pas anodin, c’est une vue des cieux. Le voile blanc et les deux personnages qui le hissent peuvent être interprétés comme la reconnaissance du courage des hommes qui assument leur responsabilité face à l’adversité, mais aussi comme une relecture des textes évangéliques. Il n’y a pas de symbolique univoque chez Maxim Kantor, mais un ensemble d’éléments recombinés en permanence et ouvrant à des interprétations entremêlées.
Le nid
2015, Huile sur toile, 200 x 230 cm
L’artiste peint rarement des paysages, mais, revenant aux origines de la vie,
il utilise des éléments primaires comme l’eau, l’océan, le vent, l’arbre, convaincu qu’ils ont été délaissés par la course au progrès.
Le nid est un tableau densément peint aux multiples nuances de vert et de bleu, un intérieur de forêt, où s’impose un arbre immense, fort, torsadé comme sous l’effet du vent. Cette figure que l’on retrouve dans d’autres tableaux exprime la force de vie et la solidité spirituelle qui sont les siennes, le débordement des branches suggérant peut-être ses engagements. Un nid, un oiseau : les figures du printemps, de la famille si importante chez lui, du renouveau humain et spirituel.
Deux hommes en prière
2017, Huile sur toile, 140 x 140 cm
Maxim Kantor donne une autre dimension à sa relation au père qui dépasse, ici, l’infinie reconnaissance filiale présente dans nombre de ses tableaux.
De ces taches rouges, presque abstraites, sortent mains, pieds et visages très expressionnistes, accentuant l’humanité des deux personnages. On peut y lire l’introspection et l’angoisse pour l’un, la louange pour l’autre, comme l’est la prière des psaumes. La version de 2017, peinte avec une brosse vigoureuse et fondamentalement expressionniste, mêle inquiétude métaphysique et sérénité humaine.
En peignant les deux vêtements dans les mêmes teintes de rouge, le fils qui s’affiche comme Chrétien, désigne son père comme porteur de la même foi, alors que de son vivant, ce dernier se disait athée tout en lisant cependant la Bible à son fils jeune et adolescent.
Graal
2017, Huile sur toile, 120 x 120 cm
Ce diptyque est la reprise d’un tableau de 2016, l’artiste aimant à traiter des mêmes sujets avec des variantes.
Un calice d’où émerge un étrange arc-en-ciel dont les couleurs sont des variations de rouge, la couleur de l’amour et de la passion.
On peut l’interpréter comme une lecture littérale de phrases liturgiques, un calice et la nouvelle alliance. Un nouvel archétype d’une peinture sacrée ?
Site de l’artiste
Jean Deuzèmes
PS :
• Voir et Dire remercie plus spécialement Philippe Bompard pour le conseil et la réalisation de la maquette du catalogue http://www.philippebompard.com
• Le lecteur peut se reporter au catalogue pour obtenir des commentaires complets assortis de photos.
• Voir et Dire a publié des articles sur Maxim Kantor à l’occasion d’expositions antérieures :