Valérie Simonnet a écrit deux brefs textes pour « Au-delà du regard », sa nouvelle exposition à la Galerie du Montparnasse : l’introduction aux œuvres et sa biographie. Ils donnent une image très juste de cette photographe qui ne cesse d’avancer dans son art et ses questionnements intimes.
Cela était en effet nécessaire, elle ne fait jamais d’autoportrait et elle ressemble probablement un peu aux personnages qu’elle saisit dans la ville, ici majoritairement en noir et blanc, seuls, silencieux, en mouvement, proches d’un faisceau de lumière qui les fait surgir de l’obscur, absorbés dans leur tâche ou se préparant à la prochaine.
En 2014, en exposant soixante photos au FIAP dans le cadre du mois de la photo, elle s’était montrée libre et joyeuse avec des formats couleur, capable de saisir la vie, de jouer avec ses modèles, de s’amuser à voir l’art sous des aspects étonnants, de pointer la rencontre incongrue d’un humain et d’une œuvre d’art, d’amener le spectateur au bord du vertige.
En 2016, elle est plus sombre et plus profonde. Est-elle imprégnée de l’inquiétude actuelle qui traverse notre société ? Est-elle marquée par des événements plus personnels sur lesquels elle reste, comme à l’accoutumée, très pudique ? Quelques indices de son introduction rendent compte de cette tonalité d’ensemble :
[…] Cette trace de ce qui touche l’œil au-delà du regard […]
[…] Interrogation écrasante ou plus légère […]
[…] Cette exposition est dédiée à […]
Les œuvres présentées couvrent un large temps de sa production mais ne constituent pas une mini-rétrospective. Elle a choisi ses clichés, a privilégié le noir et blanc, la ville, sans exclure le paysage, l’homme dans sa solitude tout en faisant de lui un résistant du quotidien face à une architecture urbaine qu’elle ne cache pas.
On connaît certaines des constantes stylistiques de cette photographe qui aime se lever tôt pour traquer la meilleure lumière dans les villes qu’elle arpente et dont les clichés ont une certaine veine expressionniste. Loin des approches conceptuelles, Valérie Simonnet est attentive au réel. Mais son regard recherche la poésie jusqu’aux dimensions formelles de l’architecture moderne la plus dure. Ses personnages flous dans les univers géométriques et rudes des espaces publics fonctionnels sont sauvés par la lumière qu’elle capte.
Dans une précédente exposition, Valérie Simonnet avait proposé des photos qui évoquaient Edward Hopper pour qui la lumière joue un rôle aussi important que le dessin. Aujourd’hui, la photographe parle plutôt d’elle-même avec grande discrétion, elle a renoncé à la couleur, elle n’a pas repris ses premiers clichés sur les oubliés de la rue, elle s’est éloignée des sujets du maître américain. Et pourtant elle se meut dans le réalisme transcendantal. Ce qui est représenté n’est pas ce que l’œil peut apercevoir dans un premier moment. La lumière introduit le sens d’une autre réalité, elle peut inviter à cette autre réalité.
C’est dans cet univers de « l’Au-delà » du regard, qui n’est pas dans les sphères éthérées mais qui commence au plus profond de chacun, que la photographe a trouvé refuge. Elle se montre aussi légère que possible pour dire des choses écrasantes et familières : la solitude, la perte et la mémoire des êtres chers, les puits et les couloirs de l’existence, la menace et l’angoisse — avec ses hommes derrière des voiles de cellophane —, le brouillard du quotidien — il y a du Joseph Sudeck dans certaines prises de vue.
À y regarder de plus près, sa photographie est truffée de symboles connus et venant des grands textes et mythes ; le désir de trouver une issue au tragique de la vie et de monter plus haut est prégnant —comme le suggèrent ses prises de vue d’escalier—, ou des colombes s’envolant. La grande originalité de cette exposition réside dans la manière dont elle capte la lumière partout, non pas celle qui sature et ne permet plus de voir la réalité, mais celle des pinceaux lumineux, celle qui perce des aurores et des brouillards, celle qui dessine des portes, des murs, tel un Michel Verjux sculpteur visuel, celle qui éclaire un passant seul, ou encore qui donne forme à la nature et au tremblement du sujet photographié, celle qui est au bout d’un estuaire.
En 2016, Valérie Simonnet propose une œuvre en Noir et Lumière. Sa gravité, nourrie de délicatesse, la rend très proche de chacun, à un moment ou à un autre de sa vie.
Jean Deuzèmes
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