Inutile de rechercher leur formation initiale ou ce qui a pesé dans leur trajectoire si ce n’est, peut-être, leur lien à la littérature, à la philosophie. Simon Evans a été skateboarder professionnel jusqu’au milieu des années 1990 avant de se tourner vers l’écriture de nouvelles. En 2006, il rencontre Sarah Lannan, illustratrice, avec laquelle il part vivre et travailler à Berlin pendant cinq ans.
Leur technique est d’une grande variété : elle relève du collage, du tressage, du tissage – jusqu’à la reproduction d’un tapis de prière trituré par une photocopieuse délirante-, la sculpture sur papier, —mais plate—, de l’orfèvrerie et surtout de la miniature. On ne sait pas où se termine l’exercice traditionnel du dessin et où commencent les autres genres artistiques ou décoratifs.
Ils revendiquent une subjectivité radicale pour rendre compte du monde et des travers humains. S’ils peuvent alimenter certains clichés des artistes de la côte Est des USA, leur liberté et leur agilité les placent ailleurs. Mais où ?
« Je suis heureux lorsque mes travaux interpellent l’observateur, lorsque l’on ressent l’énergie que j’y ai transférée. La question hésitante de mon père « En quoi cela est-il vraiment utile ? » m’offre la résistance nécessaire et ne cesse de constituer pour moi un fil conducteur. Honnêtement, mes travaux sont tous assez intimes, mais ils ne devraient jamais être trop personnels ou ésotériques au point de ne plus toucher ceux qui se donnent la peine de les regarder [1]. »
Chaque œuvre, parmi la vingtaine présentée dans cette exposition, mériterait un commentaire et une explication sans que l’on puisse pour autant garantir trouver une explication rationnelle. Les artistes se situeraient éventuellement dans la filiation de Georges Perec et de l’Oulipo, ce jeu sur le langage, de Guy Debord et des situationnistes avec leur géographie hallucinée des villes parcourues à pied. Certains récits probablement autobiographiques déclenchent le rire, parfois jaune. Mais l’affichage de leur subjectivité crée le doute, ils offrent moins des autoportraits que des nouvelles en dessin. Les mots, les tressages se combinent avec des objets et des assemblages au scotch et constituent autant d’écritures qui nous emmènent dans l’imaginaire le plus débridé.
Certaines cartes empruntent à la représentation traditionnelle tout en semblant passer par un mixer localisé dans le cortex. La miniaturisation de mots dessinés de manière totalement régulière est, quant à elle, le support de formes artistiques : des disques, des paysages de montagne, des fleuves sauvages. Comment ne pas penser aux poésies d’Apollinaire dessinées en forme de bouquets ? C’était il y a un siècle !
L’affiche d’entrée dans l’exposition est dans le même esprit, la main tremblante de la commissaire ayant écrit un texte quasi illisible, mais qui donne une clef de lecture possible : « Ils esquissent avec poésie, humour et parfois une certaine angoisse les contours d’une géographie mentale écrite à quatre mains. Dans la continuité de William Burroughs [2](1914-1997) qui expérimentait l’emploi des mots par la technique du cut-up et pour qui le langage était un virus, les deux artistes ordonnent les multiples éléments du visible.… »
Jean Deuzèmes