La technique est totalement maîtrisée. Elle rappelle celle de l’imprimerie des grandes affiches où les images émergent de l’agencement de points teintés uniquement dans les trois couleurs primaires, la vision rétinienne étant produite par le jeu des décalages des ponts ou de leurs superpositions. Anne B.Sollis, quant à elle, utilise non pas des points mais des lignes éminemment souples en quatre couleurs d’encre afin d’obtenir de multiples nuances et de la profondeur. Apparemment brouillon, le travail ne relève pas cependant de l’informel puisque l’image figurative apparaît clairement dès que l’on recule.
La signification des dessins ainsi que les sujets sont secondaires pour Anne B.Sollis, c’est la démarche qui prime. Non pas seulement la technique, mais le support dans sa vulnérabilité –les feuilles de papier cartonné — et la simplicité de l’accrochage —des pinces à dessin sur des grilles communes utilisées dans le bâtiment. Il y a un côté Franciscain ou encore Low Tech dans sa pratique.
Les feuilles de papier cartonné ne forment pas un support homogène, comme pourrait l’être une tapisserie traditionnelle, mais une surface déchiquetée faite de morceaux placés diversement, un patchwork discontinu parfois. Cela tient de l’esprit du collage, mais aussi de celui du vitrail contemporain : une grille, des feuilles qui vibrent à la lumière. Tout est mis en tension. Vue de près, l’œuvre d’Anne B.Sollis ouvre sur le tumulte et sur le chaos, il n’y a pas de limite a priori à ce qui est montré ; vu de loin cela devient lisible. Comme dans la vie réelle, il faut prendre de la distance pour comprendre.
Les sujets des cinq grandes œuvres ont une origine : ils relèvent de récits visuels puisés dans des photographies choisies pour leur forme ou pour les stéréotypes de la société moderne qu’ils véhiculent. De la banalité, l’artiste tire de l’extraordinaire et en transforme le sens initial. Sur les photos de stars, elle exerce une réflexion critique et renvoient ces dernières à la banalité. Les sujets et les titres laissent alors des indices. « T.é.o. » est l’image d’un oiseau mort ; c’est donc la mort qu’elle cherche à représenter. « G.l.o.r.i.a. », un titre de la rockeuse Patty Smith, peut se lire comme une approche de l’extase féminine dans le sillage des artistes de la Renaissance ou encore récemment d’Ernest Pignon-Ernest (voir article V&D), avec toutes les ambiguïtés de ce type de représentation.
Son passage de la photographie au dessin est tout aussi étrange que sa technique. Elle ne trace pas une grille de repère sur la photo afin de la copier fidèlement comme le font les artistes hyperréalistes, mais elle commence par projeter la photo, puis elle reproduit l’image morceau par morceau, sans vision d’ensemble avant d’assembler les feuilles. C’est la main d’Anne B.Sollis qui « parle » et interprète pour elle ; l’artiste déroule, mais emmêle aussi, les fils d’Ariane de son univers intérieur du moment. Il y a un étrange côtoiement de l’inconscient dans ce qui nous est donné à voir. Les dessins apparaissent comme le résultat de sa méditation, de sa rumination pourrait-on dire aussi, tant les lignes sont mêlées.
Cette œuvre qui allie le chaos et la netteté, la pauvreté des moyens et la banalité des sujets a une dimension spirituelle implicite.
Jean Deuzèmes