Quel sera l’état de la terre si rien ne change après la COP 21 ? L’œuvre « Présage » laisse émerger un univers inquiétant, créant une fascination hypnotique où seules les traces d’une vie humaine subsistent.
Un bateau échoué au milieu du chœur de l’église, du sable constitué de promesses brisées, une forte radiation planant au-dessus des têtes… (Djeff)
L’installation est composée de divers éléments, chacun porteur d’une symbolique propre mais produisant un surcroît de sens global. Loin de verser dans le pessimisme, l’œuvre propose une vision de l’état du monde et se transforme en un appel à agir collectivement et politiquement.
Le bateau de pêche, Aline Lucie, est l’élément central. Il provient des Chantiers Bernard de Cherbourg et a été déposé, le 11 septembre 2015, par une grue de 80t dans la nef avant d’être désossé pour en garder la poupe et la proue (lire les trois épisodes de cette saga : épisode 1, épisode 2, épisode 3).
Cette sculpture en deux morceaux, acheminée dans le chœur, détourne le mythe de l’arche de Noé : à ce jour, l’humanité a échoué à préparer une terre vivable pour les siècles à venir. Aucune colombe ne peut y nicher.
Le sol sur lequel gît le bateau n’est pas fait de sable, mais de verre, du sable travaillé par l’homme grâce à des techniques nées il y a plusieurs millénaires, cassé par son activité frénétique, sans régulation globale.
Ces mille morceaux abandonnés sont les promesses brisées de la charte 37/7 de l’ONU sur la nature votée en 1982 mais jamais appliquée par les États. Les fragments de son texte flottent en pluie sèche de petites étiquettes, suspendues à la voûte au-dessus de l’épave. À l’entrée de la rue Saint-Martin,le visiteur est accueilli par une composition sonore faite d’extraits de la Charte dite dans toutes les langues.
L’homme prend des engagements, mais sa parole ne tient plus qu’à un fil. Si le fil se rompt, la planète ressemblera à cette épave abandonnée, tel est le premier présage formulé par les artistes. Par leur mise en scène, les artistes donnent à voir sans concession l’époque charnière dans laquelle on se trouve.
Les visiteurs traversent l’œuvre sous les étiquettes et peuvent aussi apercevoir le bateau échoué à partir d’estrades latérales. Régulièrement l’orgue émet des sons profonds, en corne de brume, tandis que des projecteurs puissants installés à l’extérieur au niveau des vitraux donne des éclats de phare sur le verre brisé qui s’illumine.
Grâce à des lasers, la nef est plongée dans une atmosphère d’aurore boréale, ce phénomène météorologique prisé par les populations nordiques pour lire les présages.
Mais les artistes ne s’arrêtent pas à ce constat alarmiste et ils utilisent leur démarche poétique pour enclencher un processus impliquant les spectateurs. L’état du monde dont l’empreinte écologique se fait de plus en plus importante [1] requiert l’intervention individuelle de chacun et la mobilisation collective, en faveur de modes de vie plus sobres, en pratiquant un recyclage systématique.
Mobilisation. Présage a été choisi par la communauté de Saint-Merry et a suscité une mobilisation forte de dizaines d’individus : transports, collecte du verre (13 m3 collectés auprès des restaurateurs et bars, des familles, etc.), réalisation de 750 brins de 15m portant les étiquettes, communication, médiation, et bien sûr gâteaux pour accueillir les visiteurs et rendre plus douce l’attente inéluctable avant de traverser l’œuvre.
Recyclage : La fabrication et la désinstallation ne sont que cela.
• Le bateau de bois, fabriqué dans la grande tradition des bateaux de pêche, se trouvait abandonné depuis 8 ans. Pour la Nuit Blanche, il a trouvé un autre usage : favoriser la prise de conscience de l’urgence et des risques, sur un mode artistique. Il sera découpé le 5 octobre, donné à des entreprises de recyclage ou destiné à produire de l’énergie tandis que certaines parties serviront encore pour des œuvres aujourd’hui inconnues.
• Le verre, qui est un des emballages les plus écologiques [2] , retournera en verre en suivant une chaîne de valorisation.
• Le ponton de bois et les praticables destinés à la réception du public ont été démontés et serviront à d’autres évènements culturels de Saint-Merry.
• Et jusqu’à l’intelligence collective des membres du CPHB, qui sera recyclée sur d’autres projets.
Présage n’est pas une œuvre pessimiste mais la preuve qu’un projet parti du questionnement d’artistes observant le monde peut être partagé et peut mobiliser, inviter à se ressaisir.
C’est l’autre présage interprété par Djeff et son équipe.
Jean Deuzèmes
Visionner la vidéo de la Nuit Blanche
www.djeff.net et www.monsieurmoo.com
Présage a reçu les soutiens fondamentaux de
Ville de Paris
Art culture et Foi,
Urban Act,agence d’architecture et d’écologie territoriale
L’équipe de réalisation
Commissaire : Jean Deuzèmes
Création sonore : Rachel Marks
Régisseur : Thomas Monnier
Charpentier : Sergueï
Mise en lumière : Claude Avisse et
Edouard Trichet Lespagnol
Animation : Philippe Pépin et toute la communauté de Saint-Merry
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Djeff & Syclo. Euphausia 0.1
Nuit Blanche 2010 : Réflexion !?