À l’époque de l’économie circulaire tant vantée dans les politiques de transition énergétique, cette œuvre donne une étrange résonnance aux conflits en cours. L’artiste devient transformateur symbolique. Ce qui était instrument de mort ou reliquat d’affrontements et qui devait retourner dans le marché devient œuvre. Socratis Socratous a fait bifurquer les circuits de récupération. Cette composition expressionniste particulièrement forte fusionne les pièces par couleur et par forme ; elle crée un objet politique : la Méditerranée des secousses territoriales.
La nappe faite de métaux imbriqués n’est pas uniforme et leurs coloris esquissent une cartographie du réel d’un type nouveau, le gris des reliquats de panneaux d’espaces publics d’Athènes côtoie le noir d’une explosion à Chypre ou le cuivre noirci des balles de Syrie ; il n’y a pas de frontières à la violence.
Nulle trace humaine, mais pour exprimer la brutalité des groupes qui s’opposent, du matériau brut qui n’a plus sa figure habituelle.
La guerre est un sujet très souvent traité par les artistes. Or depuis la Première Guerre mondiale et la peinture des tranchées, l’aspect héroïque, qui était auparavant valorisé, a fait place à la dénonciation des conflits sous de multiples formes.
Plus récemment les artistes se sont ainsi engagés dans une réflexion critique sur la société du tout image en cherchant leur place dans la représentation de l’Histoire, guerre incluse. Des photographes se sont plus particulièrement emparés de cette thématique, sous la forme de fictions ayant la force émotive de la réalité [1], dans le but de questionner les informations visuelles données par les journalistes ou les metteurs en scène de film de guerre. Ils ont développé ce qu’on peut appeler une esthétique du vérisme documentaire (selon Catherine Grenier) dont l’efficacité sur les sensibilités est très grande, alors que tout est illusion. Leur but a une portée générale : se confronter à l’histoire, grande ou petite, et surtout à la représentation de la vérité.
Socratis Socratous, lui, n’est pas dans l’image mais dans le réel des balles et des effets des armes, et il le met en scène en pleine rue de Paris. Il ne pose pas la question de la vérité ou de l’authenticité du documentaire dans une société de l’image généralisée – ce n’est pas son propos – il recherche la forme matérielle adéquate pour dire l’horreur, non pour éveiller les consciences, pour évoquer, par matériaux interposés, les corps meurtris.
Jean Deuzèmes