Archéologue du numérique, Pascale Peyret démonte des centaines d’ordinateurs au rebut, extrait les cartes mémoires pour les transformer en villes futuristes.
Celle qui est exposée, une maquette à hauteur d’yeux d’adultes pour mieux y entrer, repose sur des grilles de métro, d’où surgissent des blés qui poussent sous l’effet d’une lumière au sodium et d’un apport constant en eau. C’est, techniquement, de l’agriculture hors sol qui doit aboutir à une moisson si les visiteurs agissent avec diligence. L’artiste n’est pas dans la nostalgie de la culture à la charrue et à la faux, mais dans la modernité qu’elle assume sans la célébrer [1].
Green Memory est une installation hybride qui associe les composants électroniques à la croissance de grains de blé ; au milieu des constituants de notre urbanité contemporaine interconnectée pousse ce qui constitue depuis le fond des âges agraires notre alimentation. Plus tard dans la vie de cette œuvre, il semblerait que ce soit l’inverse, le blé ancien choisi par l’artiste, dont la variété est proche de celui trouvé dans les pyramides d’Égypte, offrande aux défunts pour leur voyage dans l’au-delà, a germé et peu à peu submerge la cité des cartes mémoires. Au fur et à mesure du déroulement de cette installation vivante, le blé devient plus haut que les immeubles, le sens change, la mémoire incluse dans « carte mémoire » bascule.
Pour que le blé pousse harmonieusement, il a besoin d’eau. L’artiste s’est associée à l’ ONG « 1001 fontaines » qui promeut l’accès à l’eau potable dans les pays du Sud et a rassemblé des dizaines de bonbonnes.
Ce sont les visiteurs, touristes de passage qui sont invités à faire le lien, à prendre soin de l’installation en l’arrosant à l’aide de la fontaine placée à proximité.
Le mur de bonbonnes est en lui-même une œuvre, il vient doubler le mur de pierre, avec un éclairage au sol à la Dan Flavin : une forme hybride entre un environnement minimaliste et un autel d’un nouveau type intégrant son tabernacle triangulaire [2] où se trouve la bonbonne utilisable par les visiteurs. Pascale Peyret crée une mise en scène quasi sacrée de l’eau destinée au blé.
Cette œuvre ouvre sur des questions posées dans les conférences sur le climat : la ville artificialisée ne peut oublier la nature ; il y a urgence à inventer des systèmes nouveaux pour continuer à vivre et à se nourrir ; l’artiste fait une trace poétique et appelle à en concevoir bien d’autres, techniques et politiques ; il n’y a pas d’équilibre ville-nature, s’il n’y a pas un sens social concret à tout ce qui contribue à la vie, l’eau partagée étant au centre de tout.
Il faut trois semaines pour faire une moisson de « Green Memory », la COP 21 durera quinze jours en décembre mais pour quels fruits ?
Jean Deuzèmes
Sites
www.1001fontaines.com
www.saintmerry.org
www.pascale-peyret.com