[**Une analyse formelle*]
« Moisson » jaillit du sol tel un épi de blé, la verticalité accentue le dynamisme et la joie qui émanent de l’œuvre. Le bas de la toile est rouge brique, couleur d’une terre cuite ; le haut est d’un bleu profond, tel un ciel qui se prépare à une nuit étoilée d’été. Entre les deux, de grandes traces de pinceaux larges, outils privilégiés de l’artiste, de toutes les nuances de jaune et d’orange.
Il fallait un lieu pour réaliser cette œuvre, une grange immense. Il fallait un lieu qui lui soit temporairement dédié, ce fut Saint-Merry qui avait déjà accueilli « Résurrection ».
Formellement, cette œuvre est dans le sillage composite de Manessier -une abstraction spirituelle-, et du All-over américain qui déborde de couleurs et pour lequel la toile n’est qu’un découpage d’un espace bien plus large, voire infini. Elle se nourrit de toute une culture de la couleur, de l’impressionnisme –la touche ordonnée du pinceau- au colorfield painting américain -où l’énergie de l’artiste permet à la couleur de prendre toute la place- en passant par Matisse -les grandes taches dans le haut bleu-. Comme ces grands maîtres, Anne Gratadour ne représente pas mais construit avant tout un paysage mental et spirituel. Si l’on regarde la toile par l’envers, apparaît dans une transparence diaphane la trame du tissu couverte des traces des larges pinceaux, sans la peinture mate de la caséine ; le recto coloré n’est pas dissociable du verso gardant la mémoire du geste.
[**Une analyse des références*]
Sur le fond, la toile est une méditation du texte de Mathieu 13 ; 24-30
Tous les rubans de couleurs sont intriqués les uns dans les autres, tels les épis et les mauvaises herbes, mais aucune couleur ne les différencie aux yeux du spectateur. Seul un autre regard le fera, dit le texte évangélique. Dans la toile d’Anne Gratadour, il n’y a pas de grenier mais un ciel, bien présent ; un haut, un bas et entre les deux une humanité grouillante. Si l’on examine de très près ce travail -Rothko disait qu’il fallait voir ses tableaux à 75 cm de distance, probablement pour inviter à y entrer -, on peut lire bien des formes que l’on retrouve dans « Résurrection ». Il s’agit de la même dynamique, une sorte de mystère de l’acte créateur.
L’œuvre faite pour l’espace de Saint-Merry trouve sa force dans la mise en scène imaginée par l’artiste dès la conception : partir du plus près du sol pour arriver au plus haut dans les voûtes. Anne Gratadour exerce en effet une activité principale de scénographe.
Jean Deuzèmes
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